Les lobbyistes d’Areva à l’Assemblée

Le 24 janvier 2012

Quand le lobby pro-Areva décide d'agir, il s'adresse directement à François Fillon. Deux députés socialistes, Bernard Cazeneuve et Jean-Marc Ayrault, ont écrit au Premier ministre fin décembre pour voler au secours de la comptabilité d'Areva. OWNI publie des extraits de cette lettre, où des parlementaires très désintéressés prennent fait et cause en faveur du géant du nucléaire français.

Le Premier ministre François Fillon a reçu un étonnant courrier daté du 23 décembre et signé par les députés Jean-Marc Ayrault et Bernard Cazeneuve, dans lequel ces parlementaires l’invitent à mieux défendre les intérêts d’Areva. Bernard Cazeneuve a notamment été avocat pour August et Debouzy, entre 2006 et 2008, un cabinet ayant conseillé Schneider lors de son acquisition d’une importante filiale d’Areva – Areva Transmission et Distribution.

Dans la lettre, Jean-Marc Ayrault, président du groupe socialiste à l’Assemblée, et Bernard Cazneuve député de la Manche (où est implantée l’usine de retraitement de La Hague, d’Areva) invoquent quelques responsabilités de l’État dans la situation fragile d’Areva. Voici des extraits de ce courrier très désintéressé, dont nous avons obtenu une copie.

Les responsabilités de l’État

[...] le gouvernement sous l’impulsion du Président de la République a refusé de recapitaliser Areva et contraint le groupe à céder sa branche TedD [la filiale Transmission et Distribution, NDLR] remettant ainsi en cause un modèle intégré qui avait fait ses preuves. Enfin, le gouvernement a laissé s’installer au sein de la filière nucléaire française, fleuron de notre industrie, une tension préjudiciable entre ses deux acteurs principaux, Areva et EDF.

Le laisser-aller du gouvernement aurait donc instauré, pour les deux députés, une fin de non recevoir entre les deux groupes – EDF et Areva – dont les relations n’ont jamais été très simples.

Les excès de patriotisme d’Areva

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Pour mettre la main sur un distributeur d'électricité, les français Alstom et Schneider ont négocié avec Areva une ...

En juin 2009, au conseil de surveillance d’Areva, la décision est prise de vendre la branche la plus rentable du groupe, toujours la même société Areva Transmission et Distribution – rachetée à Alstom sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy en 2004 alors ministre de l’Intérieur et aujourd’hui vendue au consortium français Alstom-Schneider à un prix plus faible que celui proposé par d’autres prétendants étrangers. Et avec les conseils avisés du cabinet August et Debouzy.

Dans le courrier des deux députés, à travers la remise en cause du modèle intégré d’Areva, ” qui avait fait ses preuves”, plane l’ombre de l’ancienne présidente du groupe, Anne Lauvergeon. Farouche opposante au démantèlement de l’entreprise qu’elle a développée, elle a été remplacée en juin 2011 par Luc Oursel, un proche de François Roussely, l’auteur du rapport de 2010 sur la filière nucléaire commandé par Nicolas Sarkozy. Un rapport notamment à l’origine de la filialisation des mines , amorçant une étape supplémentaire dans le schéma de démantèlement du groupe.

Mais les deux députés de gauche ne s’arrêtent pas seulement à la situation préoccupante de l’entreprise et au laisser-aller de l’État. Ils pointent également du doigt ”l’absence de stratégie industrielle du gouvernement” et l’opportunisme de ceux qu’ils ne nomment pas :

Au coeur de ce débat, l’absence de stratégie industrielle du gouvernement a opportunément rencontré la volonté farouche de certains acteurs de démanteler le groupe AREVA, de privatiser la filière et de substituer à une politique d’excellence une stratégie de “bas coût” qui expose la France à un risque de désindustrialisation. La stratégie actuellement à l’oeuvre pose d’importantes questions en termes de souveraineté et de sécurité.

Le système de gouvernance des entreprises de la filière nucléaire est mis à mal et étendu à la ”désindustrialisation” du territoire français. Le Maire de Cherbourg, Bernard Cazeneuve, inquiet pour la situation de son bassin d’emploi de la Hague, où se situe l’usine de retraitement des déchets d’Areva, à moins d’une trentaine de kilomètres de son fief, ne mâche pas ses mots : dans le cas où Areva ne serait plus soutenue par le gouvernement et mis en plus grande difficulté qu’aujourd’hui, son département perdrait bon nombre d’emplois. 6 000 personnes travaillent à la Hague dont 3 000 directement pour Areva NC.

Obscur accord entre EDF et les Chinois

Mais la notion de ”stratégie actuellement à l’oeuvre [qui] pose d’importantes questions en termes de souveraineté et de sécurité” amène surtout sur la table l’accord qu’EDF aurait passé avec l’entreprise publique chinoise CGNPC :

Cet accord [protocole entre EDF et la China GUANGDONG nuclear power holding] valide en effet les prétentions de l’entreprise chinoise qui souhaite aprticiper auc nouveaux projets nucléaires d’EDF en France, accéder au retour d’expérience d’EDF en matière de centrale nucléaire sur le territoire national et participer à la RetD pour la 4ème génération. [...] Cet accord soulève de vives inquiétudes pour l’avenir de la filière nucléaire et de l’industrie française. Il appelle de notre part plusieurs interrogations.
[...]
Areva sera-t-elle placée demain par son propre gouvernement en situation de concurrence, face à une entreprise publique chinoise qui aura bénéficié de transfert de technologies française ? Alors que l’Allemagne fait de la défense de son industrie le coeur de sa politique , la démarche engagée par le groupe EDF pourrait-elle aboutir à privilégier l’emploi industriel chinois en accélérant le déclin de l’industrie française ? Enfin nous souhaiterions comprendre s’il s’agit d’une industrie isolée du groupe EDF ou si nous devons l’analyser comme emblématique de la politique industrielle de notre gouvernement ?

La lettre de Baroin à Areva

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Mettre Areva sur la touche pour les deux députés serait contre-productif pour l’industrie française. L’entreprise chinoise moins couteuse que le prestataire d’EDF serait choisie au détriment du groupe français. La logique d’anticipation fait son oeuvre. Et le soupçon d’ingérence de l’Etat refait surface, comme le montrait la lette que Baroin avait envoyée à Areva, révélée par OWNI.

Épilogue de ces démarches très politiques, la ville de Bernard Cazeneuve n’a pas été privilégiée par Areva pour l’implantation des usines de fabrication des éoliennes offshore. Anne Lauvergeon, en son temps, s’y était engagée, mais les nouveaux dirigeants du groupe lui ont préféré Le Havre, laissant Cherbourg sur la touche.
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Article mis à jour ce 24 janvier à 18h30 et à 23h00. Suite à la publication de cet article, Bernard Cazeneuve, qui n’avait pas répondu à nos sollicitations lors de cette enquête, a contacté la rédaction d’OWNI pour préciser qu’il “n’est pas lobbyiste pour l’industriel”.


Illustrations par Marion Boucharlat pour Owni.fr (cc)

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