Free, SFR, Orange et Bouygues en autocontrôle

Le 6 janvier 2012

Accorder à Orange, Free, SFR et Bouygues le luxe de devenir les seuls juges de la qualité de leurs offres d'accès à Internet. Les quatre majors pourront choisir leurs contrôleurs. Une aberration entérinée par le régulateur des télécommunications, selon des documents internes consultés par OWNI.

Les opérateurs en futurs gardiens de la qualité du net ! C’est le scénario ubuesque que le régulateur des télécommunications français s’apprête à réaliser.

L’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) est chargée de mettre sur pied un système permettant de déterminer la qualité du service de l’accès à Internet. En d’autres termes, à prendre le pouls du réseau français en fonction de plusieurs critères – débit, temps de réponse des sites… Un suivi censé aider les internautes à mieux comprendre, et surtout à comparer, les offres Internet des différents fournisseurs d’accès (FAI). Pour ces derniers, cette observation du net peut donc constituer un argument commercial et stratégique. Problème : selon des documents de travail consultés par OWNI, les opérateurs principaux, Free, Orange, SFR et Bouygues, sont à la fois juges et parties. L’Arcep leur donne notamment la possibilité de “sélectionner le prestataire” responsable des relevés de mesure. Leur offrant ainsi le luxe de s’auto-évaluer.

“Les opérateurs doivent être mis au centre des travaux”


Pour l’Arcep, la répartition des tâches est claire : “les opérateurs doivent être mis au centre des travaux”, peut-on lire en conclusion d’une présentation en date du 30 novembre 2011. Ils choisiraient le prestataire en charge des mesures sur le réseau. Et seraient responsables des “travaux sur le référentiel commun”, qui, peut-on lire plus tôt dans le document, spécifie “précisément les mesures à effectuer”.

Les FAI, objets de la mesure, décideraient donc à la fois de l’inspecteur et des critères d’inspection. L’Arcep serait simplement en charge du “pilotage”, validant notamment les “évolutions du référentiel commun”. Quant aux “autres parties prenantes” (sic) – représentants des consommateurs, équipementiers, experts et chercheurs- ils devraient se contenter d’une “concertation”. Et encore, “périodique” :

Coordination périodique du groupe technique (ARCEP – opérateurs) avec les autres parties prenantes (représentants des utilisateurs, PSI, équipementiers…) au sein d’un groupe général.

Dépendance officielle


Les opérateurs juges et parties du net

Les opérateurs juges et parties du net

Le régulateur des télécoms cherche à déterminer la qualité du réseau français. Pour mettre en place le dispositif de ...

Fin septembre dernier, à la suite d’une première réunion de travail au sein de l’Arcep, OWNI se penchait sur les risques et les enjeux qui relèvent d’une mission visant à “mesurer” Internet. Les orientations d’alors laissaient déjà craindre une mainmise des FAI sur une opération pourtant censée lever l’opacité sur la qualité de leur prestation. La dégradation excessive et arbitraire du trafic Internet devait en particulier être passée à la loupe.

Tout en insistant sur le bien-fondé d’une telle observation du net, experts et professionnels engagés dans la réflexion insistaient sur l’importance de procéder à une mesure “véritablement ouverte et objective”. Suite à cette première réunion, l’association UFC-Que Choisir alertait également l’Arcep sur la nécessité d’une observation indépendante et détachée des FAI :

L’information relative à la qualité de service ne peut être pertinente que si elle est objective. Ce qui signifie que les mesures doivent être réalisées par des organismes indépendants mandatés par le régulateur (l’ARCEP). Les opérateurs ne doivent en aucun cas intervenir dans ce processus. De plus, un contrôle régulier du prestataire doit être réalisé pour être certain qu’il travaille de manière totalement indépendante. En effet, les organismes de mesure travaillent également pour les opérateurs, dès lors, il s‘agit d’éviter qu’ils tordent les résultats pour ne pas courroucer leur client.

Des chercheurs de l’Inria (Institut national de recherche en informatique et en automatique), présents au sein du groupe de travail, ont ainsi proposé d’associer leur projet d’un “observatoire de l’Internet” aux efforts de l’Arcep pour sonder le réseau.

Les mises en garde sont restées lettre morte : le rôle prépondérant des opérateurs dans l’évaluation du réseau français n’est pas seulement confirmé, il est aujourd’hui officialisé. Écrit et encadré dans les documents de travail. Contactée par nos soins, l’Arcep nous renvoie à sa conférence de presse du 11 janvier.

Miroir aux alouettes


Certes, le régulateur essaie de faire bonne figure, en affichant son ambition de produire des mesures “transparentes” et “objectives” ou en ouvrant la réflexion à une consultation publique [PDF]. Des tentatives aux allures de miroir aux alouettes.

Pour assurer “l’objectivité et la comparabilité des mesures”, l’Arcep explique ainsi dans le document en date du 30 novembre que le “prestataire externe” ne doit pas être “lié aux opérateurs”. Et se contredit quelques pages plus bas. Elle affirme également la nécessité de voir des “mesures précisément définies dans le référentiel commun”. Un référentiel établi, donc, par les opérateurs.

Difficile alors de croire que l’Arcep prendra effectivement des “dispositions particulières [...] pour assurer l’objectivité, la sincérité des mesures réalisées”, comme elle l’indique dans le communiqué de presse annonçant le lancement d’une consultation publique sur le sujet. De même, difficile d’accorder du crédit à cette consultation, qui sera suivie de la définition d’un “cadre général du dispositif de suivi de la qualité de service d’accès à l’internet”, tant les hypothèses de travail semblent déjà claires, définies et arrêtées dans l’esprit du régulateur. Et des opérateurs. Selon nos informations, l’Arcep a réaffirmé dans un échange confidentiel récent, que cette consultation publique précède bien la mise en œuvre du dispositif. Durant laquelle, quoiqu’il arrive, “les opérateurs seront amenés à choisir un prestataire de mesure”.


CC Marion Boucharlat

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