Arles rencontre la photo numérique

Le 8 juillet 2011

Divisions chez les photographes professionnels entre manifestations contre les images libres de droits et lente reconnaissance de la photographie numérique à travers une exposition qui lui est consacrée à Arles.

La photo numérique enfin reconnue et valorisée par le principal festival de photographie, les Rencontres d’Arles? Pas si vite. La prise de position hier de Juan Fontcuberta, artiste reconnu et principal instigateur de l’exposition “From here on”, célébrant la «joie» de la «révolution numérique» dans le cadre du très officiel colloque des Rencontres, a été accueillie fraîchement par le public. Quelques heures plus tard s’ébranlait la manifestation de l’UPP en faveur du droit d’auteur, marche funèbre à travers les rues de la ville sous les pancartes “Fotolia m’a tuer” ou “Les images libres de droits entraînent une mort lente et douloureuse des photographes” (voir ci-dessous). L’exposition amirale de la 42e édition suscite des commentaires interrogatifs ou sarcastiques. Au pays des cigales et de Lucien Clergue, rien n’a encore vraiment changé.

Pourtant, une étape symbolique a bel et bien été franchie. L’exposition “From here on” est la deuxième après celle de Lausanne en 2007 (“Tous photographes“) célébrant les pratiques numériques visuelles. Pour la première fois, du sein de l’institution, on entend une défense argumentée de la «révolution numérique», appuyée sur la réputation de commissaires qui comptent parmi les plus crédibles du monde de la photo: Clément Chéroux, Juan Fontcuberta, Erik Kessels, Martin Parr, Joachim Schmid. A la différence de “Tous photographes”, qui thématisait la photographie amateur et ses effets de flux, “From here on” isole des auteurs et les présente dans un dispositif qui leur confère la même légitimité que les autres expositions du festival. Le pari est clairement de démontrer que cette photographie issue du web peut être mise en balance avec les Å“uvres du monde IRL.

Ceux qui, comme moi, observent et apprécient depuis longtemps les productions en ligne, trouveront cette découverte bien tardive. Mais à voir les réactions suscitées par cette proposition, on se rend compte à quel point une part importante du monde photographique est loin de la réalité quotidienne des images. Il était donc réjouissant d’entendre Fontcuberta, sans aucun doute l’un des photographes les plus intelligents de sa génération, faire l’éloge de la «révolution numérique», soulignant combien les nouveaux repères des pratiques visuelles s’écartaient des bases sur lesquelles la culture technoscientifique du XIXe siècle avait élaboré la photographie – la vérité et la mémoire. Aujourd’hui, expliquait Fontcuberta, la majorité des photos sont faites par des ados, ce sont des photos qui sont jetées, effacées après usage, ce ne sont plus des images pour la longue durée, mais plutôt des photos comme geste, comme acte de communication. Ces images n’ont peut-être pas beaucoup de valeur individuellement, ajoutait-il, mais leur ensemble nous offre une vision sociologique inédite de notre société: toutes les pathologies, mais aussi toute la beauté, la liberté d’esprit de notre génération.

La provocation n’est pas absente du projet, et l’on comprend que Fontcuberta ne se soit pas fait que des amis en évoquant la disparition des dinosaures, fauchés par une météorite, face aux espèces qui se sont adaptées au changement. Faire le buzz est un vieux truc de la critique d’art, d’où la dimension de manifeste donnée à une exposition qui affiche dès l’entrée une déclaration d’intention tonitruante – mais qui constitue de fait la première prise de position institutionnelle en faveur de la photo numérique. Grâce à son colloque, l’édition 2011 permet d’ailleurs de préciser une définition qui repose désormais moins sur sa technologie de production que sur son mode de diffusion: le web et les réseaux sociaux, ce que nous avons été plusieurs à nommer l’image fluide ou liquide.

Face à un tel enjeu, l’exposition tient-elle ses promesses? Dans une scénographie de qualité, la sélection des Å“uvres a été faite avec efficacité, isolant des productions à la fois représentatives du web et suffisamment diverses (voir album). La contradiction que ressent un habitué du web devant cette célébration institutionnelle est le décalage avec la modestie des supports et des circulations de l’image en ligne – mais on comprend que c’est le principe même de la démonstration que de prouver que ces oeuvres peuvent affronter un regard et un dispositif similaires à celui du grand art.

Fallait-il clouer le web sur une cimaise pour que certains s’aperçoivent de son existence? La réponse est oui. L’exposition apporte la preuve de la puissance et de la cohérence générique cachée dans les plis de la toile. En sortant de l’expo, l’habitué des circulations en ligne se dira que le web est encore plus beau, plus vaste et plus riche que cette brève anthologie. Mais tous ne le savent pas encore. “From here on” – à partir de maintenant –, il sera plus difficile d’afficher son ignorance.

Billet initialement publié sur le blog L’Atelier des icônes sur le site Culture Visuelle sous le titre “From here on”, Arles rencontre la photo numérique.

Illustrations André Gunthert

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