OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 L’embarras d’un ambassadeur est une tragédie, 15.000 victimes civiles une statistique http://owni.fr/2010/12/09/lembarras-dun-ambassadeur-est-une-tragedie-15-000-victimes-civiles-une-statistique/ http://owni.fr/2010/12/09/lembarras-dun-ambassadeur-est-une-tragedie-15-000-victimes-civiles-une-statistique/#comments Thu, 09 Dec 2010 15:32:00 +0000 Paul Bradshaw http://owni.fr/?p=38508 Peu de choses illustrent mieux les défis du journalisme à l’ère des données que le Cable Gate – et plus précisément, la manière dont on peut impliquer les lecteurs avec des histoires qui impliquent de grands ensembles de données.

Les fuites du Cable Gate ont été d’un ordre différent de celles de l’Afghanistan et de la guerre en Irak. Pas en nombre (il y avait 90.000 documents dans les warlogs afghans et plus 390.000 dans les warlogs irakiens, le Cable Gate en comporte environ 250.000) – mais sur la matière.

Pourquoi les 15.000 décès de civils supplémentaires révélé par les warlogs irakiens n’ont pas poussé les autorités américaines à fermer les comptes d’hébergement et PayPal de Wikileaks ? Pourquoi cela n’a-t-il pas dominé l’agenda médiatique de la même manière ?

Tragédie ou statistique?

Généralement attribuée par erreur à Staline, la citation: “La mort d’un homme est une tragédie, la mort de millions est une statistique” illustre particulièrement bien le problème : lorsque vous allez au-delà de certaines limites et que vous ne pouvez plus traiter l’information sur le plan humain, vous avez du mal à faire participer le public sur le sujet que vous couvrez.

Certaines recherches suggèrent que ce n’est pas un problème qui affecte uniquement le journalisme mais également la justice. En octobre Ben Goldacre écrivait un article sur une étude indiquant que “les personnes qui blessent un grand nombre de gens écopent de dommages-intérêts significativement plus faibles que les personnes qui font un plus petit nombre de victimes. Les tribunaux punissent moins durement les condamnés lorsqu’ils blessent plus de personnes.”

Au-delà d’une peine maximale de 10 ans, les personnes qui ont lu le compte rendu d’un crime faisant trois victimes ont recommandé en moyenne une année de prison supplémentaire que ceux ayant lu le compte-rendu d’un crime faisant 30 victimes. Une autre étude, dans laquelle une société de transformation des aliments a empoisonné en connaissance de cause ses clients pour éviter la faillite, a donné des résultats similaires.

Pertinence

C’est là que les journalistes jouent un rôle particulièrement important. Kevin Marsh, écrit à propos de Wikilieaks :

Les révélations qui manquent de pertinence ne servent pas l’intérêt public – si nous voulons attirer l’attention du public en vue d’enrichir son discours de manière a pouvoir changer quelque chose de concret.

Il a raison. Mais Charlie Beckett, dans les commentaires de cet billet, pointe le fait que Wikileaks ne travaille pas de manière isolée:

Wikileaks fait maintenant partie d’un journalisme de réseau où il est une sorte de fil d’informations pour les rédactions traditionnelles comme le New York Times, le Guardian et El Pais. Je pense que cela aide à atteindre un degré élevé de ce que vous appelez pertinence.

L’an dernier Wikileaks a réalisé qu’ils auraient sans doute beaucoup plus d’impact en travaillant en partenariat avec des médias traditionnel plutôt que de rendre disponible à tout le monde massivement leurs fuites de documents. C’était un changement important pour Wikileaks parce que cela voulait dire réévaluer le principe fondamental de l’ouverture à tous, en prenant un rôle plus éditorial. Mais c’était un geste intelligent – et sans doute efficace. The Guardian, Der Spiegel, le New York Times et maintenant El Pais et Le Monde ont tous ajouté de la pertinence à ces fuites. Mais auraient-ils pu faire davantage ?

Visualiser grâce à la personnalisation et l’humanisation

Dans ma série d’articles sur le datajournalisme, j’ai identifié la visualisation comme l’une des quatre étapes interdépendante de sa production. Je pense que ce concept doit être élargi pour inclure la visualisation des études de cas : ou humanisation, pour l’écrire de façon plus succincte.

Il y a des dangers, bien sûr. Tout d’abord que l’humanisation de l’histoire la fasse apparaître comme une exception (la tragédie d’une personne) plutôt que la généralité (la souffrance des milliers) – ou simplement émotive plutôt qu’informative et, deuxièmement, que votre choix d’études de cas ne reflètent pas la réalité la plus complexe.

Ben Goldacre – une nouvelle fois – explore cet aspect particulièrement bien :

Avastin prolonge la survie de 19,9 mois à 21,3 mois, ce qui est d’environ 6 semaines. Certaines personnes pourraient bénéficier de plus, d’autres moins. Pour certains, Avastin pourrait même réduire leur durée de vie et ils auraient été mieux sans ce traitement (et sans ses effets secondaires, en plus de ces de leur chimiothérapie). Mais dans l’ensemble, en moyenne, une fois ajoutée à tous les autres traitements, Avastin prolonge la survie de 19,9 mois à 21,3 mois.

Le Daily Mail, The Express, Sky News, Press Association et le Guardian ont tous décrit ces chiffres et ont illustré leurs histoires sur Avastin par une anecdote : le cas de Barbara Moss. Elle a été diagnostiquée avec un cancer du côlon en 2006, elle avait tous les traitements habituels, mais elle a également payé de sa poche pour avoir Avastin en plus de cela. Elle est vivante aujourd’hui, quatre ans plus tard.

Barbara Moss a beaucoup de chance en effet, mais son cas n’est en aucun cas représentatif de ce qui se passe quand vous prenez Avastin, il n’est pas informatif. L’anecdote est utile sur un plan journalistique, dans le sens où elle aide les gens à raconter des histoires, mais son expérience est anecdotique et clairement trompeuse, car elle ne raconte pas l’histoire de ce qui arrive aux gens sous Avastin: à l’inverse, elle raconte une histoire complètement différente, et sans doute une plus mémorable – maintenant intégré dans l’esprit de millions de personnes – que le produit à 21.000 livres des laboratoires Roche, Avastin, vous permet de survivre pendant une demi-décennie.

Le journalisme de flux – avec ses exigences réglementaires d’impartialité, souvent interprétées en pratique comme un «équilibre» – est particulièrement vulnérable à cet égard. Voici un exemple de la façon dont le débat sur l’homéopathie s’est focalisé sur l’expérience d’une personne pour des raisons d’équilibre:

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Le journalisme à l’échelle industrielle

Les histoires de Wikileaks sont du journalisme à l’échelle industrielle. L’équivalent le plus proche d’après mes souvenirs est l’histoire des dépenses des députés qui a dominé l’agenda médiatique pendant 6 semaines. Le Cable Gate en est déjà à neuf jours et la richesse des histoires a même justifié un live-blogging.

Avec ce nouveau niveau arrive un autre problème: le cynisme et la passivité; le Cable Gate peut fatiguer. Dans ce contexte, le journalisme en ligne a un rôle unique à jouer, qui était à peine possible auparavant: l’autonomisation.

Il y a 3 ans, j’ai écrit à propos des cinq W (Who, What, Where, When, Why) et du H (How) qui doivent venir en complément de chaque information. Le «comment» et «pourquoi» sont des possibilités que de nombreuses entreprises de médias ont à peine exploré. “Pourquoi devrais-je m’y intéresser ?” est sur une autre dimension de visualisation: la personnalisation – reliant l’information directement à ma propre personne. Le Guardian se rapproche de cela avec sa base de données consultable, mais je me demande à quel point la puissance de traitement, les outils et les données des utilisateurs vont nous permettre de réaliser ce genre de chose plus efficacement.

La question «Comment puis-je faire la différence ?» pousse sans doute les utilisateurs à créer des outils – ou à les créer nous-mêmes – où ils peuvent se déplacer dans l’information en communiquant avec les autres, la diffusant, votant et ainsi de suite. C’est un rôle avec lequel de nombreux journalistes peuvent être mal à l’aise car il pose des questions de prise de position, mais en choisissant de raconter ces histoires, et de les raconter d’une certaine manière, les mêmes questions son posées; nous renvoyer vers une gamme d’outils en ligne ne doit pas être différent. Ce sont des questions que nous devrions explorer, sur le plan éthique.

Résumons en une phrase

Sans m’en apercevoir, j’ai fini par écrire plus de 1000 mots sur cette question, cela vaut la peine de regrouper tout cela en une phrase.

Le journalisme à l’échelle industrielle en utilisant un grand nombre de données à l’époque du réseau pose de nouveaux problèmes et ouvre de nouvelles possibilités : nous avons besoin d’humaniser et de personnaliser d’énormes flots de données d’une manière qui ne porte pas atteinte à la complexité ou l’ampleur des questions traitées, et nous devons penser à ce qui se passe un fois qu’une personne a fini de lire une histoire en ligne et les éditeurs en ligne ont sans doute un rôle à jouer là-dessus.

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Article initialement publié en anglais sur le blog de Paul Bradshaw : onlinejournalismblog

Photo Credits: Flickr CC moominsean, Jorge Franganillo.

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WikiLeaks: Une nouvelle fuite imminente? http://owni.fr/2010/11/19/live-un-mandat-darret-international-est-sur-le-point-detre-delivre-contre-julian-assange/ http://owni.fr/2010/11/19/live-un-mandat-darret-international-est-sur-le-point-detre-delivre-contre-julian-assange/#comments Fri, 19 Nov 2010 15:09:04 +0000 Olivier Tesquet http://owni.fr/?p=36324 Cet article sera mis à jour au fil de notre travail d’enquête et de crowdsourcing. Martin Untersinger contribue depuis Stockholm.

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For english readers, here is a quick summary:

24 hours after issuing an arrest warrant with rape charges against Julian Assange, the Swedish Justice forwarded a red notice to Interpol, synonymous with an international procedure. Contacted by OWNI, Mark Stephens, the British lawyer representing WikiLeaks’ founder, stongly criticized the “irregular method”, he “has never seen before” in his entire career. For his part, Björn Hurtig, the Swedish lawyer representing Assange, said he had already appealed, while recognizing that this case could influence WikiLeaks’ agenda. Now, Interpol has yet to confirm the warrant provided by the Swedish authorities, a procedure that usually takes a few hours. Now that WikiLeaks has announced “a new world” and a release “7 times more important than the Iraqi Warlogs”, the organization’s website seems to be running out of order.

Mercredi 24 novembre, 18h48 : l’appel d’Assange contre le mandat d’arrêt suédois a été rejeté

L’appel déposé vendredi par l’avocat de Julian Assange contre le mandat d’arrêt émis jeudi matin par la justice suédoise a été rejeté. La cour d’appel de Svea a estimé qu’il existait suffisamment de preuves pour maintenir le mandat d’arrêt visant à amener Julian Assange à s’expliquer devant la justice suédoise dans le cadre d’une affaire de viol.

La cour d’appel a sur certains points des avis différents de ceux du tribunal de première instance, mais considère qu’il y a toujours des raisons de demander son arrestation“, a expliqué le tribunal dans un communiqué, cité par l’AFP.

19h20 : Joint par OWNI, l’avocat britannique de Julian Assange a qualifié la décision du tribunal suédois d’”inhabituelle” et a condamné l’action de la procureur Marianne Ny, qu’il a jugé “inutile“. “Ce ne sont plus des poursuites [prosecution], ce sont des persécutions [persecution] !” a ainsi jugé Mark Stephens.

Il a également rappelé que jusqu’à présent, “aucun document” n’avait été transmis à son client et qu’avant de se présenter devant la justice suédoise, ce dernier attendra que la procureur soit passée “par toutes les étapes du processus” en lui communiquant “un résumé des preuves et des accusations qui pèsent contre lui, dans sa langue maternelle“.

Mark Stephens a par ailleurs éludé la question de savoir si l’échec de la procédure d’appel allait perturber la divulgation prochaine de nouveaux documents, en estimant “ne pas avoir à communiquer” sur les activités de Wikileaks.

Mercredi 24 novembre, 15h50: Wired annonce une fuite

Réputé pour ses rapports conflictuels avec Julian Assange, le blog Threat Level de Wired affirme que la prochaine livraison de WikiLeaks est “imminente”. Citant Bloomberg et des sources militaires, le site avance la date du 26 novembre pour cette nouvelle  publication, qui concernerait les fameux “mémos diplomatiques” qu’auraient transmis l’analyste Bradley Manning à l’organisation.

Au mois de février, WikiLeaks avait publié un échange entre Washington et Reykjavik, présenté comme un test par Manning. En attendant d’en savoir plus, il faut déjà résoudre un problème purement arithmétique: l’organisation avait annoncé une fuite “sept fois plus importante que les Warlogs afghans”. Pourtant, les “diplomatic cables” n’en représenteraient “que” 250.000.

[23h30] Le site est de nouveau opérationnel. Jusqu’à quand?

Mardi 23 novembre, 23h: WikiLeaks ne répond plus

Alors que le site de l’organisation ne connaissait jusqu’à présent que la maintenance comme routine, son accès a été subitement interrompu mardi 23 novembre aux alentours de 23 heures. Faut-il y voir le signe annonciateur d’une nouvelle publication? Cet incident est d’autant plus étrange que WikiLeaks vient de quitter PRQ, son hébergeur suédois, perquisitionné en septembre. Dès lors, on peut également envisager une atteinte portée aux infrastructures.

Pour ceux qui souhaiteraient accéder au site, vous pouvez toujours utiliser le site miroir.

Lundi 22 novembre, 6h: WikiLeaks annonce une nouvelle fuite et un “monde nouveau”

Via son compte Twitter, Wikileaks a annoncé cette nuit (heure française) qu’il va divulguer des documents dont la taille est sept fois supérieure à celle des war logs d’Irak. Une fuite énorme, puisque la précédente consistait déjà en 400.000 documents classifiés de l’armée américaine relatifs à la guerre en Irak, ce qui en faisait la plus grosse fuite de l’histoire de documents militaires.

Next release is 7x the size of the Iraq War Logs. intense pressure over it for months. Keep us strong: http://is.gd/hzbIa

Deux heures plus tard, il publiait un message encore plus fort :

“The coming months will see a new world, where global history is redefined.”

Samedi 20 novembre, 13h45: Interpol temporise

Dans un communiqué transmis à la presse, Interpol précise que l’antenne suédoise de l’organisation n’a pas encore communiqué le contenu de la notice rouge:

Nous ne pouvons fournir plus de détails tant que la division suédoise d’Interpol n’a pas donné le feu vert au Secrétariat Général pour rendre publique la notice en question. Par ailleurs, Interpol Suède ne pourra fournir cette autorisation que si le procureur général autorise une telle initiative.

Par ailleurs, il est intéressant de noter que l’intitulé du communiqué fait référence au “fondateur de WikiLeaks”, et non à Julian Assange. Même s’il est poursuivi à titre personnel, l’activiste australien aura vraisemblablement toutes les peines du monde à dissocier son nom de l’organisation qu’il dirige, et contre qui cette procédure pourrait se retourner.

20h: Le mandat est émis

La police suédoise nous confirme par téléphone que la notice rouge a été transmise à Interpol. Par l’intermédiaire de son siège lyonnais, la police internationale précise que l’information “doit d’abord remonter via le bureau suédois d’Interpol et qu’elle sera publiée sur [le] site dès qu’elle aura été traitée par les opérateurs”.

[19h45] “La Suède malade de ses viols”. Avant d’évoquer les rouages de l’affaire ou le piège sexuel dans lequel aurait pu tomber Julian Assange, il faut mentionner le fait que la Suède est le pays qui recense le plus grand nombre de plaintes pour viol en Europe. Selon un article de Libération publié en 2009, pas moins de quinze personnes déposeraient plainte chaque jour dans le royaume scandinave, soit plus de 5.500 sur la seule année 2008.

[19h30] Deux types de notice rouge. Interpol rappelle qu’il existe deux types de notice rouge, “celles qui visent les personnes amenées à comparaître dans le cadre d’une enquête” (c’est le cas de Julian Assange), et “celles qui concernent les individus condamnés par contumace et devant purger leur peine”. En tout état de cause, le fondateur de WikiLeaks doit composer avec les accords d’extradition (PDF) signés entre la Suède et le Royaume-Uni (où il serait actuellement) en 1980.

[18h10] Le mandat émis autour de 20h. Tommy Kangasvieri, du National Bureau of Investigation, nous apprend que “les opérateurs sont en train de publier le mandat sur les systèmes”, en ajoutant que celui-ci devrait être officialisé vers 20h.

17h50: “Je n’ai jamais vu un procureur enfreindre la loi comme elle l’a fait”

Contacté par OWNI, Mark Stephens, l’avocat britannique de Julian Assange, a affirmé qu’il serait “très surpris” si un mandat d’arrêt international était lancé contre son client. Très remonté contre la procureur en charge de l’enquête à Stockholm, Marianne Ny, il estime que “les procédures était illégales et non nécessaires”: “Je fais confiance à mon confrère suédois, qui m’a expliqué que la procédure engagée par la procureur étaient illégales”, a-t-il expliqué.

Et d’enfoncer le clou:

La procureur est en complète infraction avec les lois suédoises, les loi européennes, les lois internationales et même les lois britanniques : elle a complètement failli à ses obligations. Jusqu’à présent, elle n’a pas donné à mon client un seul document, et il n’avait pas connaissance de l’identité des plaignantes jusqu’à hier, quand la plainte a été présentée à la cour. La procureur ne nous en avait pas informé. La convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme l’oblige pourtant à communiquer à mon client, dans un langage qu’il connait, la nature des accusations des preuves qui pèsent contre lui.

Selon son avocat, Julian Assange aurait proposé de coopérer avec la justice suédoise, sans que celle-ci ne lui offre de réponse. “Julian a offert sa coopération, il a proposé de rencontrer les autorités suédoises à l’ambassade de Suède à Londres ou en terrain neutre, à Scotland Yard”, rappelle-t-il.

Mark Stephens n’a d’ailleurs pas de mots assez durs à l’encontre des autorités judiciaires suédoises :

J’ai travaillé sur des dossiers dans le tiers-monde, dans des régimes totalitaires, et je n’ai jamais vu un procureur enfreindre la loi comme elle l’a fait. Si un mandat d’arrêt international est lancé, il faudra probablement qu’elle [la procureur] l’annule la semaine prochaine, quand l’audition de l’appel de mon collègue suédois aura lieu.

Selon son avocat, toutes ces procédures n’affecteront pas le travail de Julian Assange : « il va continuer à travailler comme avant. Mais si il est définitivement accusé, la chose la plus sensée à faire sera de coopérer et d’arranger la situation, mais tant que la procureur se comportera de la sorte, elle pourra s’attendre à des résistances ».

[17h40] L’avocat britannique dénonce une procédure “bizarre et exotique”. Interrogé par Channel 4, Mark Stephens, l’avocat britannique d’Assange, a vivement critiqué le mandat suédois, en stigmatisant l’attitude de la procureur Marianne Sy:

Je n’ai jamais vu ça, comment pourrions-nous lui répondre? Elle empoisonne délibérément les médias en présentant Julian comme un violeur qui cherche à se souscrire à la justice.

17h: L’avocat suédois d’Assange a fait appel

Joint à Stockholm vendredi en fin d’après-midi, Björn Hurtig, l’avocat suédois de Julian Assange a confirmé l’existence d’un mandat d’arrêt international, décerné par la procureur Marianne Ny: “elle a fait une demande de mandat d’arrêt international, mais elle ne m’en a pas encore informé”, a-t-il précisé.

L’avocat suédois nous a également confirmé avoir déposé un recours en appel contre le mandat d’arrêt lancé jeudi matin par la cour de justice de Stockholm. “Nous ne savons pas si cette décision aboutira, nous prendront une décision quand nous en saurons plus“.

Pour le moment, un voyage urgent d’Assange en Suède semble exclus, du moins tant que le mandat d’arrêt n’a pas été officiellement lancé:

Je ne sais pas si il a l’intention de se rendre en Suède mais au moment où je vous parle, il ne l’a pas prévu. Je lui ai d’ailleurs demandé de ne pas le faire, nous verrons si notre appel aboutit.

En tout cas, ce mandat d’arrêt pourrait momentanément mettre au pas WikiLeaks et son patron. “Si un mandat d’arrêt international est émis, je crois honnêtement qu’il lui sera difficile de continuer à travailler, de participer à des conférences ou donner des discours”, explique-t-il, sans se prononcer sur l’agenda de publication de l’organisation, qui pourrait être chamboulé.

Björn Hurtig a par ailleurs tenu à rappeler les “faiblesses” du faisceau de preuves qui pèsent contre son client:

S’il y a procès, s’il est condamné, il y a évidemment le risque qu’il soit jeté en prison, mais il faut attendre d’abord de voir s’il y a mise en examen. Toutefois, il faudra qu’ils aient quelque chose de plus solide pour gagner le procès. Je ne pense pas qu’ils en aient assez pour le condamner. Ils ont un dossier très faible mais en Suède, il y a cette loi étrange qui permet de le mettre en détention même si les preuves sont minces.

Tout reste donc suspendu à ce fameux mandat d’arrêt qui devrait être rendu public dans les heures qui viennent: “Si la police de l’endroit où il se trouve l’interpelle, c’est son avocat dans ce pays qui lui dira quoi faire. Mais il sera probablement transféré en Suède. Je ne lui ai pas parlé, mais je pense qu’il a la même conviction que moi: s’il y a procès, il gagnera.”

16h30: Le Pentagone se fait discret

Au mois de septembre, quand le parquet suédois avait subitement fait volte-face en lançant un premier mandat d’arrêt avant de se rétracter, Julian Assange avait évoqué les “coups bas” (“dirty tricks”) du Département de la Défense américain. En filigrane, il soupçonnait l’administration d’être à l’origine des accusations de viol. Aujourd’hui, devant ce gros caillou dans la chaussure de WikiLeaks, le major Christopher Perrine préfère jouer profil bas. Il l’explique au téléphone, laconique:

Je ne pense pas qu’il soit approprié pour nous de commenter une décision de justice suédoise, interne par nature.

16h: Le mandat dans les tuyaux

Quelques heures après avoir lancé un mandat d’arrêt pour viol contre Julian Assange, la justice suédoise s’apprête à diffuser une notice rouge (PDF), synonyme de signalement auprès d’Interpol. “Nous attendons que les autorités suédoises nous transmettent l’ordre afin que nous puissions le publier sur notre site”, explique un porte-parole de l’organisation internationale de police criminelle. Joint au téléphone par OWNI, Tommy Kangasvieri, le fonctionnaire du National Bureau of Investigation suédois en charge du dossier, révèle que le processus devrait aboutir dans les heures qui viennent:

Pour l’heure, la procédure est soumise au secret de l’instruction, mais le mandat est en train d’être traduit en plusieurs langues, et nous allons le publier sur nos machines.

Jeudi, déjà, Bjorn Hurtig, l’avocat suédois de Julian Assange, avait exprimé la “forte probabilité” de voir son client répondre devant la justice scandinave.

Pour retracer les trois derniers mois de WikiLeaks, vous pouvez consulter notre chronologie interactive (en grand format en cliquant ici):

Quelques liens pour mieux comprendre WikiLeaks

Allô c’est Julian Assange (le récit de notre rencontre avec Julian Assange à Londres)
Warlogs irakiens, l’interface de visualisation (live-blogging des Warlogs irakiens)
Julian Assange et démons (éclairage sur la personnalité complexe du fondateur de WikiLeaks)
Les dix thèses de WikiLeaks (à quoi sert le site?)

Retrouvez tous nos articles étiquettés WikiLeaks en cliquant ici
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Crédits photo: Flickr CC espenmoe, Natasha Friis Sachberg

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La guerre dont vous êtes le héros http://owni.fr/2010/11/15/la-guerre-dont-vous-etes-le-heros/ http://owni.fr/2010/11/15/la-guerre-dont-vous-etes-le-heros/#comments Mon, 15 Nov 2010 15:59:24 +0000 Anaïs Llobet, Bénédicte Lutaud, Nina Montané et Joseph Tandy http://owni.fr/?p=35807 Cet article est une contribution des étudiants de l’Ecole de journalisme de Sciences-Po.

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Pour gagner les coeurs et les esprits des Irakiens, tous les moyens sont bons: tracts, jouets, messages radios… Des armes aussi efficaces que les fusils et les grenades.

Les unités américaines d’opération psychologique (les PSYOP) changent d’outils, selon trois critères: la situation, le public et le but recherché. Passage en revue d’un arsenal psychologique, entre distribution de tracts, de jouets, diffusion de rumeurs, et incitation à la délation.

Distribuer des tracts

C’est l’arme phare (de base) de la guerre psychologique, la plus utilisée tout au long du conflit. Selon cet article officiel des PSYOP, des milliers de tracts sont largués par hélicoptère. Lors de l’invasion de 2003, des avalanches de flyers exhortant les tenants de Saddam Hussein à se rendre se sont abattus sur le pays. Une grande variété de slogans ou d’informations sont élaborés par la suite par les équipes PSYOP, au cours d’un processus décrit dans les dernières pages de ce rapport de 2003. Vous pourrez observer quelques exemplaires de tracts ici.

Ils peuvent être utilisés en réaction à un attentat, pour des opérations de promotion de fond des forces américaines et/ou irakiennes (après 2007) ou pour des évènement précis. Par exemple, afin de préparer la population au référendum sur la Constitution et la mobiliser, en octobre 2005, les soldats distribuent des tracts de mains en mains tout en discutant avec les habitants du village.

Quelques exemples de tracts:

Désolée, vous n’étiez pas là quand nous sommes venus vous rendre visite. Mais ne vous inquiétez pas, on finira bien par vous attraper, vous et vos amis!

Citoyens de la province de Ninewah pour soutenir l’état d’urgence décrété par le gouvernement irakien, les forces de sécurité irakiennes et les forces multi-nationales ont installé des check point à divers endroits et effectuent des fouilles de véhicules sur les routes de la région. Ne sortez pas de votre véhicule sauf ordre contraire.

Distribuer des jouets

En distribuant des jouets aux enfants irakiens, les soldats américains tentent d’apaiser les tensions avec la population locale – surtout pendant les perquisitions ou les opérations anti-terroristes.

Mais le choix des jouets est délicat: les Barbies sont considérées contraires à l’Islam, et les petites voitures seraient les “des symboles d’infidèles” selon les extrémistes religieux.

Les distributions de jouets sont mal perçues par les insurgés. Ils y voient une tactique d’influence des Américains. Les PSYOP tenteraient de convertir les petits Irakiens à l’American Way of Life. En attendant, les enfants préfèrent les armes en plastique aux peluches, la guerre à la paix.

Envoyer un script radio ou TV

Comment éviter la panique et les mouvements de foule ou de contestation juste après un attentat? Comment informer beaucoup de monde, et rapidement? La solution se trouve dans les médias audiovisuels: radio, et télévisions locales. Dans ce rapport, juste après un attentat à la voiture piégée dans la ville de Kirkuk, il est décidé d’envoyer un message via la radio pour informer la population sur l’auteur de l’attentat, le nombre de blessés, etc.

Dans un autre cas, à Mossoul, trois femmes civiles sont blessées à l’intérieur d’une voiture que les soldats américains prennent pour une voiture piégée. Dès lors, un message pour expliquer les circonstances de l’accident est envoyé dans deux radios locales :

L’unité PSYOP a envoyé un script radio approuvé à ces stations radio pour le bulletin d’information [...] Script: A Mossoul, des locaux ont été blessés lorsque les forces de coalition répondaient à une attaque sur une autre unité dans le quartier X de Mossoul. Une enquête commune entre la coalition et les forces irakiennes est en cours pour déterminer les circonstances de l’incident.
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Rapport de l’unité PSYOP, 3 février 2009

Ecouter les bruits de rue, écouter les sermons des mosquées

Afin de comprendre comment la population locale réagit face aux attentats et autres incidents, rien de plus astucieux que d’écouter ce qui se dit dans la rue… et dans les mosquées. Cela permet aux soldats de la PSYOP de mieux adapter leur message à la culture et aux moeurs des Irakiens. Des missions qui ne sont pas sans danger. Dans ce rapport, on apprend que lors d’une mission d’écoute dans les mosquées, une unité PSYOP essuie à trois reprises des tirs ennemis. À chaque attentat, systématiquement, les mêmes messages sont envoyés aux soldats:écouter l’ambiance et ce qu’il se dit dans la rue, ou encore écoutez/observez les rumeurs à propos de l’attentat“.

Engager la conversation avec les habitants

Vers la fin de la guerre, l’influence se fait à un niveau individuel. Les PSYOP se tournent vers les conversations directes avec la population, comme le recommande ce rapport qui fait suite à un attentat. Accompagnés de leurs interprètes, quand ils ne maîtrisent pas eux-mêmes l’arabe, ils diffusent leur message, toujours guidés par des ‘talking points’ prédéfinis.

Propager des rumeurs

Dans ce rapport, il est recommandé de lancer des rumeurs au cours de conversations avec la population locale. Les soldats propagent ainsi leur messages au plus près des Irakiens et de manière diffuse, le bouche-à-oreille ne permettant pas de déterminer l’origine de l’information.
C’est un outil ingénieux, car il s’adapte à une réalité culturelle locale. D’après le colonel Chauvancy, “au sein des sociétés rurales dans lesquelles opère l’armée américaine, elles se répandent très vite, de village en village”. Il s’agit pas de “donner sa version de la vérité” tout en la faisant relayer par les locaux eux-mêmes, ajoute Philippe Gros, chargé de recherche à la Fondation pour la Recherche stratégique.

Payer pour avoir des informations (“reward program”)

Méthode employée pour obtenir des informations sur les activités d’insurgés ou de trafiquants d’armes, les rapports Wikileaks indiquent une nette augmentation de l’utilisation de récompenses dans le cadre de la stratégie contre-insurrection engagée par Petraeus. A la suite d’un attentat, les PSYOP diffusent sur la radio et télévision locale et sur des affiches publicitaires des numéro de téléphone permettant à la population locale de transmettre des informations en échange d’argent. Et martèlent que “protéger sa famille et son pays relève du devoir de tout citoyen honorable”.

Surveiller des manifestants

Toute manifestation doit être surveillée pour palper l’opinion du moment et surtout éviter tout débordement. Dans ce rapport, les PSYOP surveillent de près une manifestation pour protester contre la mort d’un leader du Hamas. Sur place, ils dénombrent 1.000 manifestants. Dans un autre rapport, on comprend que les PSYOP se débrouillent pour discuter avec les leaders d’une manifestation de 100 personnes contre la fermeture d’un pont suite à plusieurs attentats dans la zone. Un autre exemple de surveillance de manifestation ici.

Quelle efficacité ? “Plus l’opération a un but précis, local et à court terme, plus elle est efficace”, analyse Philippe Gros. Par exemple, convaincre la population que les insurgés leur veulent du mal est un projet si général que les retombées sont très compliquées à mesurer. Mais inciter les habitants d’un village à aller voter lors d’une élection paraît bien plus réalisable.

Cet article a initialement été publié sur le site de l’Ecole de journalisme de Sciences-Po

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Crédits photo: Flickr CC DVIDSHUB, illustration Marion Boucharlat

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Journal de bord de la guerre psychologique en Irak http://owni.fr/2010/11/15/journal-de-bord-de-la-guerre-psychologique-en-irak/ http://owni.fr/2010/11/15/journal-de-bord-de-la-guerre-psychologique-en-irak/#comments Mon, 15 Nov 2010 15:48:57 +0000 Anaïs Llobet, Bénédicte Lutaud, Nina Montané et Joseph Tandy http://owni.fr/?p=35778 Cet article est une contribution des étudiants de l’Ecole de journalisme de Sciences-Po.

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La guerre en Irak ne s’est pas jouée uniquement sur l’usage de la force physique. L’armée américaine a également mené une bataille moins tangible, celle des consciences et des cœurs, au sein d’une unité spéciale: les “Psychological Operations”. Les rapports mis au jour par Wikileaks le 23 octobre 2010 dévoilent les dessous des “PSYOP” et l’évolution de leur action au fil du conflit.

Un rapport des forces armées américaine qui date de 2003 donne la définition suivante des PSYOP (appelées par l’armée française “Opérations militaires d’Influence”) :

Opérations visant à transmettre des informations et des indicateurs à des audiences étrangères de manière à influencer les émotions, motifs, raisonnements, et finalement, comportements de gouvernements, organisations, groupes et individus étrangers.

C’est en 2007 que le général Petraeus fait des PSYOP un élément clé dans stratégie globale pour la stabilisation de l’Irak. Sous l’impulsion de Petraeus, qui prend le commandement des forces de la coalition en février de cette année, le conflit passe de sa période “chaude” à la phase de “state-building”, la tentative de construction d’un état stable.

Parallèlement à l’envoi de 20.000 soldats supplémentaires, il s’agit d’aller au-devant de la population via les PSYOP, pour faciliter les opérations américaines et progressivement préparer le retrait des troupes. Dans un contexte où l’armée américaine avait “tendance à être un peu brutale, pour le général Petraeus, quand on fait la guerre, on n’est pas obligé de tuer l’ennemi”, explique le Colonel François Chauvancy, spécialiste français des opérations militaires d’influence.

En septembre 2007, soit sept mois après son accession à la tête des opérations en Irak, le commandant des forces multinationales présente son rapport au Congrès Américain. Il vante les mérites des “activités de contre-insurrection qui soulignent l’importance de l’insertion de nos unités parmi le peuple qu’ils sont chargés de protéger”. Le but: montrer les forces américaines sous un jour favorable aux irakiens, alors que l’armée US traverse une période de grande difficulté.

Nous avons engagé des activités de contre-insurrection qui soulignent l’importance de l’insertion de nos unités parmi le peuple qu’ils sont chargés de protéger.

-
Rapport au Congrès, 10 septembre 2007

Une fois gagnés les “coeurs et les esprits”, de moins en moins d’Irakiens se rebelleront, estime Petraeus. Exemple de ces activités: dénigrer les insurgés en les présentant comme des suppôts du mal. A la suite d’échanges de tirs dans le quartier nord de Bagdad, ce rapport de 2008 préconise de les appeler des “lâches”, des “criminels” et des “terroristes”. Un élément de langage réutilisé de très nombreuses fois. Il était accompagné d’un numéro de téléphone, pour encourager la population à la délation:

Ces derniers jours, des criminels et terroristes ont apporté le mal dans vos quartiers. Pour eux, peu importe si leurs balles atteignent les lieux où jouent vos enfants. Les lâches responsables de ces actes de terreur montrent une fois de plus leur manque de respect pour la vie d’innocents et l’amour de la paix. Ne laissez pas ces terroristes faire du mal à vos familles. Appelez-nous si vous avez la moindre information.
-
Rapport de l’unité PSYOP, 11 mai 2008

Si la nomination de Petraeus marque une nouvelle étape dans l’importance des PSYOP, ils sont présents en Irak dès l’invasion de 2003. 6.000 agents sont affectés en permanence aux brigades américaines par compagnies de 70 hommes.

A ce stade du conflit, ils interviennent pour conduire un harcèlement moral de l’armée nationale irakienne. Ils inondent les boîtes vocales d’officiers irakiens de messages affirmant que la guerre est perdue. En d’autres occasions ils alertent l’armée irakienne d’un bombardement prévu à une certaine heure, avant de mettre la menace à exécution. “Le sentiment d’impuissance était absolument terrible pour les forces irakiennes”, explique Philippe Gros, chargé de recherche à la Fondation pour la Recherche Stratégique.

Au cours des premières années d’occupation, on fait également appel aux PSYOP pour annoncer et faire respecter des couvre-feux ou encore les règles d’”escalade de force” lors des contrôles aux check points, suite à de multiples bavures.

2009: les PSYOP comme force majeure de transfert du pouvoir

En 2009, une nouvelle consigne impulsée par la doctrine Petraeus apparaît massivement dans les rapports: il s’agit de se rapprocher des pouvoirs locaux. Objectif visé: s’insérer dans la population, approcher les leaders religieux et politiques des villes et villages. Les PSYOP doivent discuter avec les habitants des attentats qui viennent d’avoir lieu et se montrer compatissants, comme l’énonce ce rapport d’août 2009:

Continuez d’écouter ce qui se dit dans la rue, engagez des conversations avec les habitants à propos des attaques, et soyez prêts à en discuter avec les chefs locaux.
-
Rapport de l’unité PSYOP, 24 août 2009

La même année, la stratégie passe à un stade supérieur: le transfert progressif du pouvoir aux autorités locales, condition sine qua non du départ des troupes américaines. C’est là que se systématise la diffusion du message esquissé en 2007: les Irakiens doivent avoir confiance dans les forces de sécurité de leur pays. Dans les rapports de l’armée, c’est une avalanche d’éléments de langage (“talking points”, en anglais).

La nouvelle consigne: ne plus se mettre en avant en tant que soldat américain, mais systématiquement valoriser les institutions locales. Que ce soit dans des tracts ou des scripts envoyés aux stations de radio et chaînes télévisées, il faut montrer que la police et l’armée irakiennes ont le contrôle de la situation. Dès début 2009, un thème récurrent se dégage des rapports, celui de “protéger les protecteurs”: les locaux doivent aider ceux qui assurent leur sécurité, Irakiens et Américains.

Les forces de coalition travaillent de paire avec la police irakienne et l’armée irakienne pour vous protéger et assurer la sécurité dans votre ville. Aidez-nous à les protéger.
-
Rapport de l’unité PSYOP, 20 janvier 2009

En montrant que les deux côtés coopèrent, cet élément de langage vise à transmettre à la police et l’armée irakiennes l’aura de confiance que les Américains croient détenir auprès de la population.

Les PSYOP cherchent par là à renforcer l’identification des Irakiens à ces nouvelles forces formées par les Américains durant la guerre:

Votre armée, votre police, vos forces de sécurité et les chefs de ces forces vous protègent. Votre armée a montré à tous l’exemple à suivre.
-
Rapport de l’unité PSYOP, 30 octobre 2009

Mais le discours va plus loin. Les soldats américains doivent présenter les membres des forces de sécurité irakiennes comme des “héros”. Un ton bien différent de celui des insurgés, qui appellent les meilleurs d’entre eux des “martyrs”:

Les policiers irakiens sont des héros et travaillent très dur pour protéger les habitants de Mossoul Ouest.
-
Rapport de l’unité PSYOP, 4 février 2009

Un discours en contradiction avec d’autres déclarations des forces américaines, qui savent pertinemment que la torture pour des motifs souvent arbitraires a toujours cours dans les commissariats irakiens.

Suite de la campagne de contre-insurrection, les PSYOP continuent de véhiculer des messages de dénigrement des insurgés, qu’ils présentent comme désespérés… tout en mettant encore en valeur les forces irakiennes:

Les criminels sont en train de perdre leurs soutiens dans toute la province de Mossoul et perdent espoir. Une fois de plus, cela prouve que la police irakienne est plus que capable et prête à protéger Mossoul face aux criminels et aux insurgés. Les soldats de l’armée irakienne travaillent dur pour que de belles choses arrivent à tous. Montrons notre soutien à l’armée irakienne pour tout ce qu’ils ont fait pour les citoyens de Mossoul.
-
Rapport de l’unité PSYOP, 14 février 2009

Parmi les messages dirigés vers les Irakiens coopératifs, un rapport de 2009 montre également celui-ci. Il cherche à conforter dans leur choix ceux qui collaborent, non sans quelques accents religieux:

Vos efforts pour sécuriser le pays doivent continuer. Vous avez choisi le bon chemin.
-
Rapport de l’unité PSYOP, 26 janvier 2009

Un nouveau moyen d’influence apparaît également dans les rapports de l’armée en 2009: la rumeur (appelée “whisper campaigns”, en anglais). Une manière d’influencer les acteurs au plus près, puisqu’ils ne peuvent pas identifier la source de l’information et qu’ils la relaient eux-mêmes.

Les PSYOP reposent en paix

Le rôle toujours plus important des PSYOP en 2009 et 2010 leur a aussi valu une certaine renommée. Une célébrité qui ne leur a pas rendu service, puisque la population américaine a eu tendance à les considérer comme des unités de propagande.

Résultat: ultime rebondissement, en juin 2010, l’Etat-major américain a décidé de supprimer le nom des PSYOP, porteur d’une connotation de manipulation des esprits. Elles deviendront les “Military Information Support and/to Operations”, ou MISO. Un changement de nom tactique, pour une unité soucieuse de renvoyer une image positive.

Cet article a initialement été publié sur le site de l’Ecole de journalisme de Sciences-Po.

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Crédits photo: Flickr CC The U.S. Army, DVIDSHUB

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Toy Story en Irak http://owni.fr/2010/11/15/toy-story-en-irak/ http://owni.fr/2010/11/15/toy-story-en-irak/#comments Mon, 15 Nov 2010 13:44:29 +0000 Anaïs Llobet http://owni.fr/?p=35754 Cet article est une contribution des étudiants de l’Ecole de journalisme de Sciences-Po.

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Tu pleures parce que notre opération anti-terroriste t’a fait peur ? Tiens, voilà une poupée. Ah, on a tué ton chien pendant cette même opération? Prends-donc ce kit Lego, ça t’aidera à te reconstruire.

Les jouets débarquent en Irak. Pour mieux se faire accepter par la population locale, les soldats américains distribuent des peluches et des poupées aux enfants irakiens. Une méthode surprenante mais efficace quand elle ne se heurte pas aux traditions religieuses.

Entre charité et opportunisme, gagner les cœurs des petits Irakiens à coups de peluches et de jouets,c’est une des méthodes de l’unité américaine des opérations psychologiques (les PSYOPs).

Et ça marche. Comme cette fois où, pendant que les soldats américains perquisitionnaient les maisons à la recherche d’armes, les PSYOPs distribuaient des jouets à la volée. Au final, beaucoup moins d’animosité et de regards haineux de la part des Irakiens. Sur Wikileaks, un rapport d’une brigade -rendue anonyme par le site- confirme “que donner des jouets reste un moyen efficace d’influencer la population” pendant les perquisitions.

Jouer au Père Noël, c’est aussi bien pratique pour avancer dans les quartiers dangereux. Entourés par une nuée d’enfants, les soldats américains se sont baladés tranquillement dans les rues, direction un bâtiment “qu’on disait abandonné”. A l’intérieur, surprise! ils y découvrent deux “rebelles étrangers”, à l’attirail du parfait-petit-poseur-de-bombes.

En une expédition, les soldats américains ont fait d’un jouet trois coups: non seulement ils ont conquis le cœur des enfants irakiens – et de leurs parents, charmés par tant de générosité -, mais ils ont en plus réussi à avancer en toute sécurité dans les rues, avant de réaliser un beau coup de filet anti-terroriste.

Des distributions de jouets assurées par des ONG

Les distributions de jouets par les PSYOPs ont fait des émules parmi les autres régiments de l’armée américaine. Après avoir offert une peluche à une petite fille dont “les yeux se sont illuminés d’une telle joie”, le soldat Paul a décidé de lancer sa propre ONG, Operation Give. Des quatre coins des Etats-Unis, on lui envoie des jouets qu’il redistribue ensuite sur le terrain. “Nous voulons aider les soldats américains à gagner les cœurs et les esprits des gens de cette région”, explique Paul.

Certains coeurs et esprits sont cependant loin d’être conquis par ces soldats déguisés en Mère Teresa. Parfois, les gentils Américains tombent sur “des éléments de propagande” qui incitent les enfants irakiens à refuser leurs cadeaux. Il arrive aussi que les distributions de jouets soient interrompues par des voitures qui foncent en leur direction.

Des jouets américains en terre d’Islam

Les jouets seraient-ils aussi une affaire d’adultes? Les Américains font pourtant attention d’éviter d’offrir des Barbies nues afin de ne pas exciter le zèle religieux de certains Irakiens: les formes voluptueuses de la figurine s’accordent mal avec les préceptes de l’islam. Mais les soldats donnent sans hésiter des voitures, des Legos et des poupées; véritables symboles d’infidèles, selon les extrémistes.

Ce que craignent surtout les insurgés, c’est que les jouets fassent partie d’une tactique d’influence des Américains. Un peu comme après la seconde guerre mondiale, lorsque les G.I. offraient à tout-va des chewing-gums et du chocolat aux enfants européens et japonais. Aujourd’hui, les petits Irakiens reçoivent des peluches et des poupées, mais la stratégie serait la même, selon les insurgés. Derrière l’apparente générosité des soldats américains, il n’y aurait pas que la volonté de se faire accepter par la population locale, mais surtout celle de faire goûter aux enfants le si agréable American Way of Life.

L’ONG Operation Give ne s’en cache pas. Si elle a décidé d’apprendre aux Irakiens le baseball et le football,“ces jeux géniaux de tradition américaine”, ce n’est pas uniquement pour le plaisir d’échanger avec eux d’autres balles que celles des fusils – mais pour que les enfants “apprennent bien plus que ces jeux”. Comprenez: on serait ravis qu’ils se familiarisent avec notre belle culture et langue américaine.

Jouer avec des peluches c’est bien, avec des armes c’est mieux

Et les enfants dans tout ça ? Ils sont sûrement heureux de recevoir des cadeaux de la part des soldats américains, même si ces derniers ne quittent jamais leur gilet pare-balles. Cependant, si les petits Irakiens pouvaient choisir, ils préféraient que les Américains leur tendent non pas des peluches mais des… AK-47. En plastique et avec balles de caoutchouc, mais le plus ressemblant possible. Citée par le journal Al-Arabiya, Dr. Nahed Abdul Karim, sociologue de l’Univerisité de Baghdad, explique que les enfants aiment imiter “et de là vient leur envie d’avoir leurs propres armes“. Mortiers, mini-bombes, lanceurs de roquettes… tant que c’est une (fausse) arme de guerre, l’enfant irakien sera heureux, rapporte Al-Arabiya.

Pour les soldats américains, ces “jouets” sont un véritable casse-tête. Dans les rues, les enfants marchent en groupe, leur AK-47 à la main. On les appelle les “faux gangs”. Mais de loin, difficile de les différencier avec les vrais, ce qui a déjà failli coûter la vie à plus d’un enfant. La faute à une guerre si présente au quotidien qu’elle en est devenue le jeu privilégié des petits irakiens.

Cet article a originellement été publié sur le site de l’Ecole de journalisme de Sciences-Po

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Crédits photo: Flickr CC The U.S. Army

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http://owni.fr/2010/11/15/toy-story-en-irak/feed/ 17
Vers la guerre privatisée http://owni.fr/2010/11/02/vers-la-guerre-privatisee/ http://owni.fr/2010/11/02/vers-la-guerre-privatisee/#comments Tue, 02 Nov 2010 15:33:08 +0000 Olivier Tesquet http://owni.fr/?p=34448 76. C’est, en milliards de dollars, le montant des contrats souscrits entre le Pentagone et les sociétés militaires privées américaines (regroupées sous le sigle SMP), entre 2003 et 2007 (PDF). S’il n’était pas mis en avant par le très sérieux Congressional Research Service, l’agence fédérale chargée de passer au crible les politiques publiques, on serait tentés d’invalider ce chiffre stratosphérique. Pour éclairer les béotiens de l’uniforme, il équivaut à un peu plus de 10% du budget de la Défense pour l’année fiscale 2011. Plus éloquent encore, cette enveloppe ne concerne que le “théâtre irakien”, soit l’Irak, Bahreïn, la Jordanie, le Koweït, le Qatar, le sultanat d’Oman, l’Arabie Saoudite, la Turquie et les Émirats arabes unis. Nulle mention ici de l’Afghanistan ou des conflits contre-insurrectionnels de type guérilla, en Afrique ou en Amérique du Sud, qu’ils impliquent milices ou cartels de la drogue.

Officiellement, l’U.S. Army s’est retirée d’Irak le 31 août 2010, suivant un calendrier établi par Barack Obama lui-même. Le soir-même, depuis le Bureau Ovale de la Maison-Blanche, le président avait exprimé la nécessité de “transmettre le témoin aux acteurs civils”. Bien entendu, il faisait allusion aux diplomates, aux conseillers, à l’USAID (l’agence pour le développement international). Mais l’expression comporte aussi sa zone grise, celle des mercenaires et autres “soldiers of fortune”.

En 2008, en pleine campagne présidentielle, Hillary Clinton sortait le mortier pour annihiler les gros bras, gilet en kevlar sur le dos et M16 en bandoulière: elle voulait faire voter “un texte bannissant Blackwater et les autres entreprises de mercenaires d’Irak et d’Afghanistan”. Deux ans et demi plus tard, la sinistre société précitée s’appelle désormais Xe, après qu’une série d’audits du Congrès a fait muer le mastodonte. A la vérité, Blackwater a plutôt été éclaté en une série d’allèles par le truchement d’une joint venture, comme en témoigne un contrat de 2,2 milliards de dollars signé par le Département d’État – dirigé par la même Hillary Clinton – le mois dernier.

“Personal Security Detachment”

Dans les Warlogs exhumés par WikiLeaks, pourtant nettoyés de toute mention nominative (on n’y trouve ni nom d’informateur, ni sigle de société), on recense plus de 3.000 allusions à des PSD, “Personal Security Detachment”. En y ajoutant l’adjectif “French”, la base de données de WikiLeaks offre 3 résultats, tandis qu’une recherche plus large sur notre pays comptabilise 326 occurrences. Il n’aura échappé à personne que la France n’est pas engagée militairement en Irak, et ce depuis la célèbre saillie diplomatique de Dominique de Villepin sur les bancs de l’ONU.

Comment dès lors expliquer la présence de compatriotes dans les faubourgs de Bagdad ou les environs de Bassorah?

Pour mieux cerner les contours de cette nouvelle géographie du combat, il faut bien noter que les agents du renseignement extérieur sont comptabilisés parmi les PSD dans les rapports de situation. Ainsi, le Français “abattu à travers la fenêtre d’un véhicule le 21 novembre 2006” n’est pas un mercenaire, mais un agent de la DGSE tué lors d’un incident à un check-point, un mois jour pour jour avant la libération des journalistes otages Christian Chesnot et Georges Malbrunot.

Une loi, des failles

S’il est extrêmement difficile de quantifier la présence française sur les théâtres d’opération, c’est peut-être parce que la législation française, qui essaie tant bien que mal d’encadrer le mercenariat, est victime de ses propres défaillances. Depuis 2003, la loi punit de cinq ans d’emprisonnement et 75.000 euros d’amende “toute personne, spécialement recrutée pour combattre dans un conflit armé et qui n’est ni ressortissante d’un État partie au dit conflit armé”. Quant à ceux qui recruteraient, emploieraient, équiperaient ou rémunéreraient lesdites personnes, le texte prévoit une peine de sept ans d’emprisonnement et 100.000 euros d’amende.

Pour les  connaisseurs, il ne s’agirait que d’un contre-feu, d’un signal adressé aux SMP afin de mieux maîtriser leurs activités. Pour ses concepteurs, la loi ne vise qu’à créer “un risque judiciaire, afin de professionnaliser le milieu et faire le ménage”. Dans Le Monde Diplomatique de novembre 2004, un ancien collaborateur du célèbre Bob Denard stigmatisait le fait qu’”aucun mercenaire ne réunit cumulativement les six critères imposés par la loi”, parce que la plupart sont “envoyés en mission” par des États tiers, et donc intégrés de facto aux forces armées du pays concerné.

En outre, la loi française ne condamne que la stricte “participation active aux combats”, laissant la voie libre à toutes les autres composantes des sociétés militaires privées, qu’il s’agisse du renseignement, du soutien logistique (qui représente 65% de leur activité en Irak, selon le CRS), voire d’une protection rapprochée qui navigue dans des failles langagières. En Irak, Geos ou Anticip se contentent ainsi d’assurer la sécurité des investisseurs français.

Néanmoins, la donne pourrait changer avec la nomination d’un préfet chargé d’encadrer l’ensemble des activités liées à la sécurité privée. La création d’un tel poste réglementerait non seulement l’action des vigiles et autres personnels de sûreté, mais aussi celle des employés de SMP.

Au revoir SMP, bonjour SSE

Ces tentatives de régulation signifient-elles que la France tourne le dos aux initiatives américaines? Non. Il y a quelques semaines, Georges Malbrunot soulignait la montée en puissance des sociétés militaires privées françaises, tout en révélant les desiderata du Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale (SGDSN), extraites d’un document confidentiel:

La participation à des actions offensives ou de renseignement actif doivent être strictement prohibées [...] Organiser en le réglementant un marché aujourd’hui “sauvage” [...] Bannir le terme “militaire” (Société de Sécurité Extérieure)

Moins que l’existence de sociétés comme Gallice (dont le patron, Frédéric Gallois, est l’ancien patron du GIGN), c’est l’amalgame qui pourrait exister dans l’opinion publique entre armée et secteur privé qui inquiète les stratèges français. Dans les hautes sphères de la Défense, on se féliciterait d’ailleurs du potentiel de reconversion des Sociétés de sécurité extérieure pour les anciens militaires et autres légionnaires.

Pour autant, cet enthousiasme de façade ne saurait masquer les puissants rapports de force qui opposent partisans et détracteurs de l’option privée. Dans une lettre d’information spécialisée, Pierre-Antoine Lorenzi, P-DG d’Amarante, une “société privée de prestation de services militaires et de sécurité” (l’appellation de l’ONU), réagit aux propos de Bruno Delamotte, patron de Risk&Co, une autre entreprise du même secteur. Relayée sur le blog Secret Défense de Jean-Dominique Merchet, sa diatribe montre au grand jour la tension du débat:

Quelle mouche a donc piqué le Président de Risk & Co pour fustiger ceux qu’il qualifie de “marchands de peur face au risque terroriste”? Habitués que nous sommes à ses prises de position aussi surprenantes qu’excessives, nous aurions pu en sourire s’il n’était question sous sa plume courroucée de la vie de nos otages au Sahel et de la sécurité de nos ressortissants expatriés. En effet, n’en déplaise à notre apprenti pamphlétaire, il ne s’agit pas, face au risque terroriste et aux menaces d’AQMI, de se prémunir contre la peur mais de se protéger contre la mort!

Interrogé par Slate.fr sur la perspective d’une armée privatisée, le général Neveux, qui a coordonné l’opération Artémis en République Démocratique du Congo en 2003, se montre au mieux circonspect, au pire hostile:

La force ne peut trouver sa raison d’être que dans un objectif politique, ce n’est pas une finalité en soi, mais un instrument au service d’une société démocratique. La force armée est de nature régalienne, apanage de l’État. Personne ne remet en cause le contrôle absolu de l’État

Dans la pensée du sociologue allemand Max Weber, le “monopole de la violence” d’un État s’exerce par la légitimation de cette violence afin de renforcer l’ordre en son sein. En l’externalisant auprès d’entreprises dont on ne peut identifier l’uniforme, le gouvernement américain a peut-être abandonné le principe régalien profondément républicain prôné par le général Neveux. La France suivra-t-elle le même chemin?

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Crédits photo: Flickr CC The U.S. Army, DVIDSHUB

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http://owni.fr/2010/11/02/vers-la-guerre-privatisee/feed/ 40
Les sociétés militaires privées, l’Etat sans le droit http://owni.fr/2010/11/02/les-societes-militaires-privees-letat-sans-le-droit/ http://owni.fr/2010/11/02/les-societes-militaires-privees-letat-sans-le-droit/#comments Tue, 02 Nov 2010 14:27:08 +0000 Jérôme Larché http://owni.fr/?p=34460 La diffusion récente par le site web WikiLeaks et son fondateur Julien Assange – devenu en quelques mois la bête noire des autorités américaines et australiennes – de 400.000 documents classifiés sur les pratiques de l’armée américaine et irakiennes, ainsi que sur celles des sociétés militaires et de sécurité privées en Irak soulève à nouveau de nombreux débats.

On peut s’interroger sur le paradigme de le transparence prôné par WikiLeaks, et qui paraît parfois orienté, mais toujours est-il que ces documents nous questionnent sur l’opacité des conditions de contractualisation de ces entreprises avec les Etats, ainsi que sur le déficit inacceptable de régulation et de redevabilité qui entoure leurs activités et dont elles ont jusqu’à présent largement bénéficié, aussi bien sur le plan financier que juridique.

Ces révélations interviennent au moment même où le Président Karzaï a réitéré, lors du Conseil de sécurité afghan, sa ferme intention d’interdire les activités des sociétés de sécurité privées sur l’ensemble du territoire afghan.

Le “nouvel eldorado” irakien des SMP

On compte aujourd’hui plus de 50 SMP (sociétés militaires privées, ndlr) en Irak, employant environ 30.000 personnes. Un rapport récent a montré que sur un nombre total de 113.911 contractors, 58% d’entre eux étaient affectés à des tâches de support logistique, tandis que 11% d’entre eux (soit plus de 12 000) se chargeaient de tâches de sécurité (et par là même, participaient occasionnellement aux combats).

Si le nombre total de contractors a diminué en Irak, du fait du désengagement progressif de l’armée américaine et des troupes de la coalition, la proportion affectée à des tâches de sécurité a, quant à elle, progressé de 38%. 26% seulement des contractors en Irak sont des “nationaux“, alors qu’ils représentent plus de 75% en Afghanistan. Cette “afghanisation des milices privées” a été conceptualisée sur le terrain irakien par le Général Raymond Odierno, qui affirmait que “l’emploi des irakiens, non seulement permet d’économiser de l’argent mais renforce aussi l’économie irakienne et aide à éliminer les causes de l’insurrection – la pauvreté et le manque d’opportunités économiques“.

Une intégration difficile aux stratégies militaires des Etats engagés

Comme en Irak, la stratégie contre-insurrectionnelle prônée par l’administration américaine et la coalition otanienne en Afghanistan a prôné d’emblée l’utilisation de forces militaires privées, y compris des milices tribales reconverties secondairement en SMP locales. La complexité des situations dans lesquelles ces SMP sont actuellement employées est renforcée par la mauvaise intégration de ces dernières dans les chaînes de commandement militaire, et par les frictions générées avec les soldats “réguliers“.

En Irak comme en Afghanistan, les Rambo sont légion et leurs faux pas peuvent avoir des conséquences délétères non négligeables. En Irak, l’armée américaine a ainsi dû faire face pendant le soulèvement des miliciens d’Al-Sadr à des défections brutales de contractors, qui ont préféré fuir ces situations jugées trop dangereuses. Le recrutement de ces nouveaux mercenaires peut également s’avérer très hasardeux. Ainsi, la société Blackwater (qui s’appelle Xe aujourd’hui) a pu employer des militaires chiliens, anciens membres des commandos formés sous la dictature d’Augusto Pinochet.

Des pratiques opaques de contractualisation

La privation et l’externalisation s’inscrivent aussi dans une démarche de réduction et de rationalisation des coûts. Un rapport du Government Accountability Office (la Cour des Comptes américaine) a montré, qu’entre 2007 et 2008, plus de 5 milliards de dollars ont été versés pour les contractors (et USAID, qui lui-même contracte pour plus de la moitié de ses financements) en Afghanistan quand, pour la même période, 25 milliards de dollars l’ont été pour l’Irak.

Cependant, les conditions d’attribution de ces marchés publics ont parfois été très opaques, mettant en évidence une possible collusion entre membres de l’administration américaine de G.W. Bush et le complexe militaro-industriel. L’exemple le plus visible a été celui du vice-président américain, Dick Cheney, ancien directeur de la société Halliburton, dont la société Kellogg Brown and Root (KBR) est une des filiales, et à qui a été confiée la gestion de toutes les infrastructures américaines en Irak, pour des contrats de plusieurs milliards de dollars.

D’ailleurs, le gouvernement Obama vient d’engager des poursuites judiciaires contre le groupe KBR pour ses coûts en Irak, mais aussi pour avoir illégalement engagé et armé des sous-contractants.

En prenant l’Irak pour exemple, il est aisé de constater que la plupart des contrats ont été rédigés sous le sceau du secret, la plupart du temps sans appels d’offres, et ce basé sur les procédures d’exceptions de la loi fédérale de régulation des acquisitions…

Se pose également le problème des conflits d’intérêts entre les différentes parties contractuelles. Un rapport récent du Center for Public Integrity a en effet montré que 60% des SMP ayant bénéficié de contrats de la part du gouvernement américain avaient des employés ou des membres de leur conseil d’administration qui soit avaient servi, soit avaient des liens forts avec les organes exécutifs des administrations républicaine ou démocrate, avec des membres du Congrès des deux partis, ou avec des militaires de haut niveau.

Des dérives opérationnelles préoccupantes

Au delà des aspects financiers, les exemples d’abus et de violations des droits humains commis par les SMP sont nombreux et documentés. En Irak, certains d’entre eux sont devenus symboliques des dérives de violences et d’atteintes à la sécurité humaine liées à l’utilisation des SMP, comme de l’impunité qui en découle.

La fusillade de la place Nisour, le 16 septembre 2007, a fait 16 morts, des civils irakiens tués par des contractors de la société Blackwater, à l’époque. Autre incident relaté, le comportement des membres de la société ArmorGroup, chargée de la surveillance et de la protection de l’Ambassade des Etats-Unis à Kaboul. En juin 2009, une association de vigilance sur les projets gouvernementaux révéla, en effet, de graves et systématiques dysfonctionnements sur le plan contractuel (gardes ivres, nombre insuffisant de gardes, niveau d’anglais insuffisant) mais aussi sur le plan du respect humain (harcèlement sexuel, stigmatisation des gardes afghans, privations de sommeil,…), entraînant des problèmes de sécurité.

Une enquête du sous-Comité du Sénat américain pour la surveillance des contrats menée a pourtant récemment démontré que le Département de la Défense avait renouvelé sa confiance à ArmorGroup jusqu’en juillet 2010, avec une possibilité d’extension du contrat jusqu’en 2012.

Une absence de régulation et de redevabilité

Les dérives des pratiques des SMP, notamment sur les terrains de conflits, paraissent liées à l’absence de régulation effective de leurs activités. Les contractors des SMP, et notamment ceux présents en Irak ou en Afghanistan opèrent théoriquement sous trois niveaux d’autorité légale: 1) celui du droit international humanitaire et des mandats du Conseil de Sécurité des Nations Unies , 2) celui de la loi américaine ou de leur pays d’origine (en fonction des législations existantes), 3) celui des lois domestiques des pays hôtes.

Ce cadre juridique est pourtant insuffisant car les contractors d’Irak et d’Afghanistan ne rentrent pas dans la définition étroite de “mercenaires“, définie aussi bien par le protocole 1 additionnel de 1977 aux Conventions de Genève, que par la Convention du 4 décembre 1989 élaborée sous l’égide des Nations Unies. Le CICR a récemment rédigé un document visant à mieux définir le concept de “participation directe aux hostilités“, élément d’importance pour distinguer notamment les civils combattants et non combattants.

En lien avec des partenaires institutionnels, la Suisse s’est lancée ces dernières années dans une large réflexion sur le sujet des SMP, afin de trouver des pistes d’actions pour mieux encadrer l’activité de ces sociétés militaires privées.

On peut distinguer deux actions en particulier, celle de l’initiative conjointe avec le CICR qui a abouti à la présentation devant l’Assemblée Générale des Nations-Unies le 6 octobre 2008, du Document de Montreux. La deuxième initiative importante a permis la promotion d’un Code de Conduite Global à l’attention des SMP, finalisé en janvier 2010, et rédigé en collaboration avec le DCAF et l’Académie du Droit International Humanitaire et des Droits de l’Homme de Genève.

Vers une augmentation des SMP?

D’autres mécanismes, comme une adaptation de la contractualisation, pourraient éventuellement améliorer la redevabilité et le contrôle externe des SMP. La multiplication de crises et de terrains de conflits, le contexte actuel de crise économique et la tendance à la réduction des budgets militaires (notamment en Europe) devraient entraîner une très probable sollicitation accrue aux SMP, comme en Irak, où 7.000 contractors armés vont travailler pour l’administration américaine après le départ des dernières troupes de combat.

En Irak comme en Afghanistan, l’utilisation massive des actions civilo-militaires dans le cadre de stratégies contre-insurrectionnelles, la doctrine des approches intégrées, comme les dommages collatéraux induits par les troupes de l’OTAN et les dérives de certaines SMP sur les populations locales, ont pu participer à l’accroissement d’une perception négative et durable des forces armées de la coalition, mais aussi des occidentaux travaillant dans le secteur de l’aide humanitaire et du développement.

En Irak comme en Afghanistan, les pertes non comptabilisées des contractors permettent surtout de masquer le coût humain réel du conflit, car elles restent largement invisibles pour les citoyens. Les documents de WikiLeaks viennent renforcer cette nécessité de régulation et de contrôle des SMP, même si, au final, l’objectif final de Julien Assange paraît d’une transparence toute relative.

Cet article a initialement été publié sur Youphil

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Crédits photo: Flickr CC The U.S. Army

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La Suède, un refuge à toute épreuve pour WikiLeaks? http://owni.fr/2010/10/23/la-suede-un-refuge-a-toute-epreuve-pour-wikileaks/ http://owni.fr/2010/10/23/la-suede-un-refuge-a-toute-epreuve-pour-wikileaks/#comments Sat, 23 Oct 2010 16:14:58 +0000 Martin Untersinger http://owni.fr/?p=33137 Wikileaks récidive ! Le site spécialisé dans la publication de documents confidentiels vient de publier un peu moins de 400 000 fichiers sensibles impliquant l’armée américaine en Irak. L’organisation a même chargé OWNI de réaliser une application de crowdsourcing.

Après la diffusion de documents similaires concernant l’Afghanistan en juillet dernier, la plateforme et son fondateur Julian Assange ont provoqué la fureur du Pentagone. Les autorités américaines verraient d’ailleurs bien ce dernier derrière les barreaux, et son site définitivement mis hors d’état de nuire. Même s’il agit avec un luxe de précautions et que WikiLeaks est protégé par un réseau informatique ultra-sécurisé, Assange s’est très vite mis à la recherche d’un pays où son organisation serait protégée et pourrait échapper plus facilement aux autorités américaines.

C’est autour de l’Europe du Nord que l’éphèbe australien a choisi de graviter, afin de profiter de la législation locale, bien plus favorable aux médias qu’ailleurs. Si Assange a passé ces derniers jours à Londres pour préparer la publication de la dernière salve de documents, c’est d’abord depuis l’Islande qu’il a commencé à opérer. Il y était basé lorsqu’il a dévoilé “Collateral Murder”, la vidéo d’une bavure de l’armée américaine en Irak qui a causé la mort d’une dizaine de civils.

Mais c’est en Suède qu’Assange semble avoir trouvé un havre de paix et une législation extrêmement protectrice. Il l’a réaffirmé lors de la conférence presse qu’il a tenu ce matin :

“La Suède possède une des meilleures législation sur la presse au monde. Une loi ne vaut jamais plus que le papier sur laquelle elle est écrite, mais il y a un très fort soutien pour la liberté de la presse : il y a des gens qui cherchent vraiment à utiliser cette loi. Nous avons donc choisi d’y installer nos serveurs”

Problème : il y a quelques jours, les autorités suédoises lui ont refusé le titre de séjour dont il avait fait la demande en août dernier. La Suède est-elle vraiment le refuge rêvé pour l’Australien et son organisation ?

Le bouclier suédois

Il y a quelques mois, la tête pensante de WikiLeaks s’est tournée vers le Parti Pirate, et plus précisément son hébergeur PRQ, réputé peu regardant sur le contenu des informations qu’il héberge. Son patron Mikael Viborg a d’ailleurs donné un aperçu tonitruant de ses positions sur la liberté d’information et d’expression dans une interview accordée à Bakchich. Même si WikiLeaks entretient volontairement le flou autour de son hébergeur, on sait également qu’une partie de ses infrastructures est gérée par Bahnhof, une autre entreprise suédoise réfugiée dans un abri antiatomique en plein coeur de Stockholm.

Afin de maximiser sa protection, il avait même été question pour WikiLeaks d’héberger ses fichiers sur les serveurs du Parti Pirate dans l’enceinte même du Parlement, où le parti espérait obtenir des sièges aux dernières élections. N’ayant obtenu qu’un pourcent des voix, ce projet restera lettre morte.

Mais plus que des bonnes volontés, Julian Assange est surtout venu chercher une législation extrêmement protectrice.
En Suède, la liberté de la presse et le secret des sources font l’objet d’une législation ancienne et particulièrement protectrice. C’est en que fut proclamée pour la première fois la liberté de la presse en 1776, près de 25 ans avant la France et sa Déclaration des Droits de l’Homme. Aujourd’hui, les textes suédois régissant les droits des médias sont pleinement constitutionnels, déterminés par l’Acte sur la Liberté de la Presse (Tryckfrihetsförordningen), un des quatre principaux piliers de la Constitution Suédoise.

De fait, il est très difficile pour les autorités suédoises d’agir sur des serveurs localisés sur leur territoire. Concrètement, un site ne peut être fermé que si ses propriétaires ont été jugés coupables d’un crime, même si les données qui y sont contenues peuvent être utilisées dans le cadre d’une investigation. De plus, une action en justice contre un média constitutionnellement protégé ne peut être conduit que par le Chancelier, la plus haute autorité judiciaire du pays. Le procès en lui même se déroule devant une juridiction d’exception, spécialement désignée. En dehors de ce cas de force majeure et en vertu de la loi suédoise, toute personne qui contreviendrait au källskydd (protection des sources) risquerait jusqu’à un an de prison. C’est pour cette raison que le 14 août, le tabloïd suédois Aftonbladet annonçait en grande pompe sa collaboration avec Julian Assange, manière pour ce dernier de se placer sous la protection du plus grand quotidien du pays. Cependant, cette collaboration semble être aujourd’hui au point mort.

Pour être conforme aux textes suédois, l’atteinte à la liberté d’expression doit être justifiée par une menace pour la sécurité nationale. Beaucoup s’étaient demandé si ce cas de figure pouvait être invoqué si il était porté atteinte à la sécurité d’un état ami, comme les États-Unis. Il faut rappeler que dans le passé, la justice suédoise avait refusé de procéder à une enquête à la demande de la Russie sur un site rebelle tchétchène hébergé en Suède, au motif que les lois suédoises avaient vocation à protéger l’ordre public en Suède, “pas ailleurs dans le monde”.

Mais selon Oscar Swartz, fondateur de Bahnhof, c’est moins la nature même des lois qui a attiré WikiLeaks que la façon dont ces dernières ont été appliquées : “les juristes américains utilisent la loi de manière intransigeante et essaient par tous les moyens de mettre des bâtons dans les roues. Nous n’utilisons pas la loi de cette manière en Suède.”

Les Suédois avec WikiLeaks

WikiLeaks profite également d’une longue tradition de protection des médias et d’un climat très favorable dans l’opinion Suédoise, auprès de la jeunesse notamment. “La volonté du peuple suédois est avec nous” avait déclaré Julian Assange en août dernier. Voici ce qu’en pense Alexa Robertson, politologue et professeur à l’École de Journalisme de l’Université de Stockholm.

“En Suède, [Wikileaks] a un lien intéressant avec le Parti Pirate, qui est entré au parlement Européen aux dernières élections, notamment grâce au soutien des jeunes. Ces derniers supportent moins les comportements illégaux que la libre circulation de l’information, et désapprouvent le fait que le “capital” puisse dicter ce qui est publié. Il me semble que c’est pour cela que [WikiLeaks] reçoit un très large soutien de la part des jeunes, surtout de gauche. Mais pour compliquer les choses, ils bénéficieront peut-être aussi du soutien de l’extrême droite, comme pendant l’affaire des caricatures de Mahomet… En Suède, la question de la liberté d’expression et du droit de publier aboutit à des coalitions étranges”.

Le climat politique est également très favorable à Assange et ses comparses. Interrogé pour savoir si le pouvoir suédois allait intervenir à la suite de la publication des War Logs, le ministre suédois des Affaires Étrangères Carl Bildt avait écarté toute possibilité d’intervention, arguant qu’il appartenait au pouvoir judiciaire, et non exécutif, de trancher cette question. “Est-ce responsable de publier une information qui peut amener des gens à être tués ? C’est plus une question éthique qu’une question légale” avait-il même expliqué.

Un abri loin d’être à l’épreuve des balles

Plusieurs centaines de soldats suédois sont actuellement engagées aux côtés de l’US Army en Afghanistan… La publication de nouveaux documents concernant ce théâtre d’opération militaire pourrait rentrer en conflit avec la loi suédoise et mettre en cause la “sécurité nationale”. Difficile dans ce cas pour la Suède de refuser son aide aux États-Unis dans l’éventualité d’une action contre WikiLeaks. C’est sans compter le fait que dans les textes constitutionnels suédois, la liberté de la presse est limitée en cas de publication de documents confidentiels concernant la Suède : brèche qu’un avocat habile bien aidé par les circonstances peut mettre à profit.

La loi suédoise n’empêche pas les perquisitions et les investigations : il y a quelques semaines, les serveurs de PRQ ont été perquisitionnés, même si WikiLeaks ne semblait pas visé par la procédure. De même, la loi suédoise n’a pas été d’un grand secours pour les fondateurs de Pirate Bay, condamnés à un an de prison et dont le procès en appel vient de s’achever devant la cour d’appel de Stockholm. Et au delà des serveurs et des bases de données, la personne de Julian Assange n’est pas à l’abri des attaques, même en Suède. Les accusation de viol – qu’il continue de nier en bloc – formulées à son encontre en août dernier sont là pour rappeler qu’on est jamais autant exposé que lorsque on fait trembler le Pentagone.

Mais le principal problème de WikiLeaks est aujourd’hui l’obtention d’un certificat de publication, document délivré l’autorité de régulation audiovisuelle suédoise et indispensable pour bénéficier des protections légales s’appliquant aux médias. Le refus des autorités d’accorder à Julian Assange un permis de séjour va obliger WikiLeaks à désigner un responsable éditorial – condition essentielle pour obtenir le certificat de publication – résidant en Suède, qui sera responsable devant la justice de tous les documents publiés par la plateforme. Un poste à risque. Parallèlement, pour que la protection des sources soient effective, le site internet doit faire l’essentiel de son travail depuis la Suède. Or Les Warlogs d’Afghanistan et d’Irak ont été publié depuis Londres, et Collateral Murder depuis l’Islande.

Cela explique sans doute pourquoi les démarches pour obtenir ce fameux certificat semblent au point mort, comme l’a révélé en septembre un article de la Columbia Journalism Review. A ce jour, WikiLeaks ne figure pas dans la liste des sites internet protégés par les lois sur la liberté de la presse, et aucune demande n’a été enregistré par l’autorité de régulation suédoise.

Le refus des autorités suédoises de lui accorder son permis de séjour vient compromettre un peu plus la protection des sources dont pourrait bénéficier WikiLeaks. Espérons qu’ils disposent d’un plan de secours. Pourquoi pas l’Islande ?

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Crédits Photo CC Flickr : Natasha Friis Sackberg, Niklas Plessing.

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http://owni.fr/2010/10/23/la-suede-un-refuge-a-toute-epreuve-pour-wikileaks/feed/ 4
“Hi, this is Julian Assange” http://owni.fr/2010/10/22/hi-this-is-julian-assange/ http://owni.fr/2010/10/22/hi-this-is-julian-assange/#comments Fri, 22 Oct 2010 20:49:29 +0000 Admin http://owni.fr/?p=33169 On Friday, October 8, an email appeared in our inbox, citing an “urgent request” for the team that developed the Afghanistan warlogs application. It was forwarded to me, as I was the datajournalist behind the project. Although I was almost certain that this was the umpteenth journalist enquiry regarding the warlogs, the sender’s name immediately caught my eye.

It was Sunshine Press. As it happens, Sunshine Press is the company that publishes the wikileaks.org website. This was serious. After a couple of email exchanges, my cell phone rang. Julian Assange was on the other end. I was talking to the soul of Wikileaks. To provide context, we have posters of Assange in our open-plan office. This was the datajournalist equivalent of a teenage girl having Justin Bieber on the line.

After such excitement, we of course accepted to go to the meeting Assange had proposed, in London, three days later. I got aboard the Eurostar with Pierre Romera, the developer who worked on the first version of Warlogs. Once in St Pancras, we headed towards the bar in which we were to meet Assange, stressed and scared as if we were to meet the head of some secret service. From there, we were walked to the office where the Wikileaks team worked. Assange was sitting there, much less intimidating in real life as when he’s wearing his grey suit with neatly combed white hair. Still, we felt unnerved by the situation, being in a position to negotiate with him whatever it was he wanted from us.

We have the same dataset as the one you worked on. Except it’s larger, and concerns another country”, he said (not verbatim, my memory is pretty bad and recording the conversation wouldn’t have been such a smart idea). “We liked the crowdsourcing app you made for the Afghan logs and we would like to give you more time this time around.” How much time? “Six days”. Ah.

What is the risk that this file encounters the same criticism as the first ones, especially with regards to the names of the informants?” we asked. “This has been taken care of”, was the answer. “Although we’re going to be criticized on other points,” added another person in the office.

In the end, we were told that many journalists were investigating the current corpus and that we wouldn’t have to dig out stories by ourselves. Rather, Assange wanted us to produce an interface that would complement diarydig.org, a website where one can search and browse through the files. We had to sign a non-disclosure agreement (NDA) before any further information could be disclosed. If we opened our mouths, we’d now have to pay a hefty fine of £100,000. Despite this lavish insurance, we had no access to the database. Instead, Assange gave us a ‘redacted’ sql file, stripped of all the interesting bits.

Now, we decided to work for Wikileaks despite not knowing what kind of stories the files contained, because we were given the assurance that no lives were going to be put at risk by the release of the logs. Had it been otherwise, we would probably not have done it. All in all, the four conditions we established before coming to London were met:

1. We had six days and a free hand on the development;

2. We had no knowledge of the data before the official release date (or as little as was needed from the technical aspect);

3. We knew for sure that several newsrooms were working on the logs and that sensitive information had been retracted;

4. We wouldn’t have to host the app. A ruling by France’s supreme court in January, 2010, is phrased in such ways that a host is now responsible for all content on its servers. Had we hosted the app ourselves, likely within hours of launch the police would demand we take it offline. We had to look to freer countries for hosting. Wikileaks told us to look at Bahnhof.se, their own host, famous for having its servers buried deep in a nuclear shelter.

We started work as soon as we signed the NDAs, while still in the London studio. The specs document (in which we detail how the app is supposed to work) was completed within minutes. It was easy: we already had our original vision from when the logs were first released, but now we had the opportunity and time to make it a reality. We spent the entire afternoon, part of the night and the following day coding our asses off, and only took a break to grab some dinner with Julian and a few others.

Back in Paris, we held an emergency strategy meeting, so that every developer and every coder knew what they had to do. By then, we still had no access to the actual files. Design was done in eight hours, as developers were getting the structure ready. On Saturday, October 16, the app was 95% complete. We only had to plug the actual database into our system. The Monday deadline, as we now know, was a decoy.

We continued working on refining the app for the whole week, without knowing the actual release date. On Thursday, Assange resumed contact and put the sql files directly on the server. To give him access to the servers, we used a secure chat. Given the sensitivity of the conversation, we double-checked Assange’s identity by asking him something only he and I knew: “what was the flavor of the waterpipe we smoked at the restaurant in London?” A real war movie. A few hours before launch, we finally got hold of the files. After some last-minute checks, we loaded the complete, final version on the servers.

At 23:00 Paris time, we pressed the ‘play’ button. The rest is being written now.

Warlogs

Click here to open the app

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http://owni.fr/2010/10/22/hi-this-is-julian-assange/feed/ 12
“Allô, c’est Julian Assange” http://owni.fr/2010/10/22/julian-assange-wikileaks-irak/ http://owni.fr/2010/10/22/julian-assange-wikileaks-irak/#comments Fri, 22 Oct 2010 20:48:53 +0000 Nicolas Kayser-Bril http://owni.fr/?p=32835 Le samedi 8 octobre, à 19h30, Nicolas Voisin, directeur de la publication d’OWNI, reçoit un mail à l’adresse ‘contact@owni.fr’. Quelqu’un demande à parler en urgence aux développeurs de l’application Warlogs que nous avions réalisée fin juillet, lors de la publication de plus de 75,000 documents concernant la guerre en Afghanistan. Comme j’avais coordonné le boulot pour OWNI sur ce projet, il me le fait suivre.

« Dear Madam or Sir
I am trying to find the person who did this project: http://app.owni.fr/warlogs/?lang=EN. I am trying to find the technical people who actually put it together.
I would very much like their personal email as I have a very interesting proposition for them which I am sure they will want to hear about.
I look forward to your response.
Kind regards »

Croyant d’abord à une requête de journaliste, je m’apprête à mettre le mail de côté pour y répondre plus tard. Par acquis de conscience, je vérifie quand même le nom de domaine de l’expéditeur, un certain Sunshine Press. Surprise, Wikipédia m’indique que Sunshine Press est l’organisation qui a mis sur pied le site Wikileaks, en 2006. Ça commence à devenir sérieux.

Après quelques échanges de mails, j’en ai la confirmation. Un numéro anglais appelle sur mon portable. C’est Julian Assange, le porte-parole de Wikileaks, au bout du fil. Pour donner quelques éléments de contexte, imaginez quand même que nous avons des posters d’Assange affichés dans l’open-space de la soucoupe, non sans humour, mais ce contexte est « roi ». Mon niveau d’émotion était alors à peu près aussi élevé que celui d’une ado parlant à Justin Bieber. Je caricature, mais ce sera le dernier instant de légèreté.

Le rendez-vous est fixé. Ce sera mardi 12, dans un bar londonien. On s’embarque donc dans l’Eurostar à destination de St Pancras, Pierre Romera, développeur principal de l‘application warlogs et moi-même. Une fois sur place, après 15 minutes d’une attente plus stressante que celle des résultats du bac, on nous mène vers le studio où l’équipe d’Assange se prépare à sa nouvelle action. Les bureaux, partagés avec l’une des grandes organisations journalistiques londonienne, ne ressemblent pas vraiment au local surprotégé qu’on aurait pu imaginer.

Julian Assange est beaucoup moins intimidant en vrai, sans son costume gris et ses longs cheveux blancs bien peignés. Ceci-dit, même s’il n’avait qu’une veste en cuir, des cheveux courts et en pétard et revêtait une barbe de 3 jours, nous n’en menions pas large. Une équipe de 23 ans de moyenne d’âge venue parlementer avec l’homme qui fait trembler le Pentagone, cela avait quelque chose de cocasse.

« Nous avons le même set de données que la dernière fois, mais plus gros. Et pour un autre pays, » commence Assange [toutes les citations sont de mémoire]. « Nous avons beaucoup aimé l’application de crowdsourcing que vous avez réalisé et nous nous demandions si vous pouviez faire la même chose, avec cette fois-ci un peu d’avance. » Combien d’avance? « 6 jours. » Ah.

Conscients des critiques dont avait été victime la fuite afghane – les noms de certains informateurs des armées d’occupation avaient été laissés en clair dans les documents – nous lui demandons si des mesures ont été prises pour retirer les données risquant de mettre des vies en danger. « Tous les noms ont été retirés », affirme-t-il. « Ce qui n’empêchera pas les critiques de fuser, » prévient, goguenard, l’une des personnes travaillant dans la pièce.

Nos exigences :
- 1/ avoir vraiment 6 jours et carte blanche en design comme en développement
- 2/ ne pas avoir connaissance des logs en amont (sauf contrainte technique)
- 3/ avoir la certitude que de nombreuses rédactions ont ces logs depuis des semaines et ont eu le temps de les étudier et que les noms des civils soient masqués.
- 4/ ne pas en être hébergeur (la jurisprudence française, depuis l’arrêt Tiscali du Conseil d’État, fait peser toute la responsabilité sur l’hébergeur)

Assange nous explique également que plusieurs journalistes travaillent sur les documents depuis un certain temps, dans de nombreuses rédactions, « y compris en France, où l’un des plus gros journaux pourrait faire partie de l’aventure ». OWNI n’aura donc aucune responsabilité journalistique, au sens juridique, dans l’étude de ces logs.

Avec ces explications, nous acceptons la mission. Il est certain que nous n’aurions jamais accepté de travailler avec l’organisation si nous n’avions pas obtenu la garantie qu’aucunes vies ne seraient mises en danger par notre travail.

Suite à quoi Assange nous fait signer une close de confidentialité (NDA) stipulant que si nous révélons quelque qu’information que ce soit avant la date fatidique, Wikileaks nous ferait payer 100.000 livres sterling d’amende. Sic. Les NDA étaient toutes pour le 23. Dehors, le web commençait à faire bruit d’un lancement le 18. Nos fameux 6 jours de délais s’annonçaient à dimension variable.

Malgré cette garantie élevée, il nous faut travailler à l’aveugle, à partir d’une base de données expurgée de tout contenu intéressant. Qu’à cela ne tienne, Pierre et moi nous mettons à coder frénétiquement, après avoir défini sommairement les spécifications de l’app. C’est pas dur, il nous suffit de faire ce que nous avions voulu réaliser la fois précédente mais que nous n’avons pas fait, manque de temps (la dimension « serious game » en plus de ce que permettait notre précédente app est l’un de ces aspects).

Le plus clair de l’après-midi et de la nuit et du lendemain est passée à coder les différents modules de l’interface. Nous nous permettons quand même un dîner avec Julian Assange et deux autres personnes présentes dans le studio ce soir là.

De retour à Paris, jeudi matin, nous tenons conseil dans notre « war room ». Chacun à son poste, les rôles sont répartis entre les développeurs et les designers, afin que chacun connaisse sa mission.

Au final, l’application aura été designée en moins de 8h, développée en 4 jours et sera hébergée sur les serveurs de ceux qui hébergent The Pirate Bay, en Suède, et sur un serveur à leur nom. Le samedi 16, nous étions à 95% prêts. Il ne nous restait plus qu’à obtenir les fichiers, dont nous croyions qu’ils sortiraient le lundi matin, après avoir lu l’article de Wired.

Nous savons maintenant que la date du lundi matin était une diversion. Du coup, nous avons passé le reste de la semaine à améliorer et corriger les derniers bugs de l’appli. Wikileaks a repris contact avec nous jeudi pour mettre les fichiers directement sur les serveurs. Avant de lui donner les codes d’accès, une vérification d’identité s’imposait, en lui posant une question dont seuls lui, Pierre et moi connaissions la réponse:

Quel était le parfum du narguilé que nous avons fumé au restaurant, à Londres?

Un vrai film de guerre.

Après les dernières vérifications, nous avons chargé les fichiers sur le serveur suédois et appuyé sur le bouton. Le reste est en train d’être écrit.

C’est en quelque sorte l’histoire d’un « journalisme augmenté » où chemin faisant, les compétences et responsabilités se répartissent, et où certains prennent des voies de traverse pour donner à penser au plus grand nombre. Ce jour, ce n’est rien de moins que la plus grande collaboration de médias indépendants (traditionnels et foncièrement « modernes ») qu’ait connu notre génération. Puisse-t-il en sortir du sens, davantage de vérité et pourquoi pas une autre idée, pour ceux qui mènent des guerres, de la nature du secret qui les préservait de certains cas de conscience.

La procédure de dépôt de fichiers de Wikileaks étant actuellement désactivée, si vous avez des informations que vous voulez transmettre de manière sécurisée, utilisez le service Privacy Box, détaillé sur OWNI, à l’adresse suivante

https://privacybox.de/nkb.msg

(n’oubliez pas d’indiquer une adresse où vous contacter si vous voulez une réponse!)



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