OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Le lobby caché des caméras http://owni.fr/2012/02/09/an2v-videosurveillance-lobby-cameras/ http://owni.fr/2012/02/09/an2v-videosurveillance-lobby-cameras/#comments Thu, 09 Feb 2012 16:32:20 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=96925

Dominique Legrand, fondateur de l'AN2V. Paris, février 2012.

En 2012 l’Association nationale de la vidéoprotection (AN2V) ne devrait pas chômer. L’État soutient massivement le déploiement des systèmes de vidéosurveillance sur la voie publique. Comme en 2011, 60% du Fonds interministériel pour la prévention de la délinquance (FIPD) soit 30 millions d’euros, iront… à la vidéosurveillance.

Fondée en 2004 par Dominique Legrand, alors consultant en infrastructures TIC, à une époque où le sujet n’excitait pas autant les politiques, l’AN2V est financée en partie par la petite centaine de sociétés adhérentes qui représentent le gros des acteurs en France. Elles payent un montant annuel de 900 à 4 500 euros, pour un budget total de 200 000 euros. Pourtant, l’AN2V se défend d’être un lobby au sens primaire du terme :

Nous ne sommes pas là pour vendre des caméras mais pour que, s’il y a vidéoprotection, elle soit faite dans les règles de l’art et avec efficacité.

De fait, là où Dassault fait dans la grosse Bertha, le positionnement de l’AN2V est plus subtil. “Comme il y a consensus sur la vidéosurveillance et que le lobby passe directement par l’État, elle se place sur le conseil. Elle souligne aussi comme outil pour gérer les villes, la “vidéogestion”, avec cette fascination pour la technologie”, analyse Émilie Thérouin, adjointe Europe écologie Les Verts (EELV) en charge de la sécurité à Amiens et vidéo-sceptique, à l’image de la ligne de son parti sur le sujet.

“C’est une technologie complexe, voire coûteuse, détaille Dominique Legrand, il faut expliquer au citoyen en permanence ce qu’on fait et ce qu’on ne fait pas. Les dérives effectivement peuvent être rapides, il faut être vigilant et nous sommes là pour ça.”

Cible élargie

Si, pour des raisons historiques, son cœur de cible initial était les villes, l’association s’adresse désormais à tous les clients potentiels de l’outil. Elle a donc abandonné l’année dernière sa dénomination initiale: Association nationale des villes vidéosurveillées. Revendiquer le terme vidéoprotection, est-ce pratiquer la novlangue ? Non, se défend Dominique Legrand, “c’est la loi et notre but, c’est de protéger les citoyens, pas de les surveiller.” Même si cela passe par une surveillance d’une partie d’entre eux, admet-il.

Actuellement, l’AN2V compte 400 “adhérents”, selon le terme employé dans leur communication. Dans la réalité, il s’agit des acteurs qui suivent son activité, en assistant par exemple aux réunions, et sont du côté de la demande. “La majorité des villes qui viennent n’ont pas de caméras, précise Dominique Legrand, elles viennent pour écouter.” Une liste des membres que l’on n’obtiendra pas, pour deux raisons. D’une part la vidéosurveillance serait encore “un sujet sensible”, tout en affirmant que “selon plusieurs sondages récents et concordants, les Français sont favorables à la vidéoprotection.” D’autre part, il s’agit d’éviter le démarchage intempestif. Ce qui n’empêche pas de trouver une carte géolocalisant lesdites villes adhérentes ou de noter le nom des prospects lors des réunions.

Et de toute façon, une bonne vieille alerte Google sur le sujet permet de connaître les villes où le sujet est à l’ordre du jour.

Alain Bauer, le grand manitou

L’AN2V position lui permet d’entretenir de bonnes relations avec le Forum Français pour la Sécurité Urbaine (FFSU). Avec toutefois des limites : “Nous participons réciproquement à nos évènements notamment sur la vidéosurveillance. Cependant, la collaboration n’a pu être jusque là plus poussée car nous n’avons pas le même objectif . De même, la forte adhésion d’entreprises privées, qui fournissent du matériel vidéo, au sein de l’AN2V a pu gêner cette collaboration.” Mais l’association surfe bien sur la vague du sécuritaire, et assume :

On vit du phénomène vidéoprotection, on n’en a pas honte. Avec ou sans l’AN2V, elle existerait.

Ce tournant sécuritaire a été initié par Alain Bauer, grand Manitou en la matière, qui a ses antennes à droite comme à gauche et a présidé la Commission nationale de la vidéosurveillance de 2007 à janvier dernier.  Il signe dans Pixel, le guide annuel de l’AN2V, une double page [pdf], en temps que “grand témoin”, et nous a donné son point de vue :

C’est un lobby intelligent très actif dans le domaine de la vidéoprotection/vidéosurveillance.

Jean-Louis Blanchou, le délégué interministériel à la sécurité privée et Jean-Louis Touraine, premier adjoint au maire (PS) de Lyon, ville au taux d’équipement non négligeable, se sont aussi exprimés dans le guide. L’AN2V collabore également avec France Action Locale, qui fait de la formation aux élus et acteurs locaux, dont le responsable du pôle sécurité est Florent Montillot, adjoint en charge de la sécurité UMP à Orléans, grand fana de vidéosurveillance qui a fait de la ville un laboratoire en matière de sécurité.

Une petite claque à droite, une petite claque à gauche

Plutôt bien dans les petits papiers du ministère de l’Intérieur, comme en témoignent les représentants présents à chaque réunion, l’AN2V ne se mouille pas trop sur les 12 500 suppressions de postes dans la police et la gendarmerie enregistrées en cinq ans. Ils mettent pourtant à mal la chaine détaillée par l’AN2V pour qu’il y ait vraiment vidéoprotection, qui consiste en théorie à repérer de façon automatique les faits anormaux,  afin qu’une intervention humaine ait lieu le plus en amont possible.

Je ne suis pas dans les chiffres. Je peux avoir une opinion citoyenne, pas en tant qu’AN2V. En tant qu’AN2V, c’est pas mon maillon. J’espère que, si une caméra entre dans le scénario “il y a un problème à cet endroit”, la technologie puisse pallier le manque d’effectif.

Toutefois, l’AN2V n’hésite pas à tacler le gouvernement sur la politique du chiffre, avec l’objectif du triplement du nombre de  caméras, avancé par Michèle Alliot-Marie en 2007, répété par Nicolas Sarkozy, Brice Hortefeux et Claude Guéant, relativisé récemment par la Cour des comptes  : “Je ne cherche pas les chiffres, ça ne m’intéresse pas. Justement parce que c’est instrumentalisé.” Il tacle “la pauvreté sémantique traduit la méconnaissance du sujet. Les inuits ont treize termes pour désigner la glace.” Sur les chiffres de la délinquance, “on mélange les choux et les carottes.”

Message transmis à nos derniers ministres de l’Intérieur, grands experts ès manipulations comptables.

De même, dans Pixel, Dominique Legrand écrit qu’on ne peut pas encore parler de vidéoprotection. On peut en déduire que le gouvernement se moque de ses citoyens.

La gauche a aussi droit à sa petite claque, lorsqu’il passe au crible les hypocrisies politiciennes, anecdote croustillante à l’appui, exercice auquel il excelle :

Je connais une grande ville socialiste qui avait des caméras sur les tram a commencé à tourner les caméras sur la voie publique. Le maire disait qu’il n’en avait pas et maintenant, ils sont en train d’en mettre.

“On peut tourner les chiffres dans tous les sens”

Si le ministère de l’Intérieur a son couvert, Laurent Mucchielli ou Tanguy Le Goff, deux chercheurs auteurs d’études critiques sur la vidéosurveillance, ne sont pas les bienvenus. Trop dogmatiques.

“Je connais leurs discours, ça ne fait pas avancer le débat, c’est toujours le même exemple depuis dix ans.” Ce qui est inexact : les études brandies par nos sociologues datent de 2005, 2007 2010“La porte est ouverte mais je les ai pas invités en direct. Je n’aime pas la prise de position a priori. Je pense qu’ils ne sont pas neutres dans les arguments. On peut tourner les chiffres dans tous les sens.”

Les chiffres, éternelle querelle des pro et anti. Dominique Legrand ne doute pas face aux nombreuses études qui mettent en doute l’efficacité de la vidéosurveillance sur la voie publique. Il martèle l’argument botte-en-touche , comme un leitmotiv incantatoire : “Les chiffres sont mal positionnés.” La Cour des comptes ? “Elle n’est pas neutre. Elle a présenté les chiffres pour montrer que Nicolas Sarkozy n’avait pas bien fait son travail.”

Ses chiffres ? La vidéosurveillance permettrait déjà un retour sur investissement, entre la baisse des dégradations et donc des assurances, les enquêtes plus vite élucidées, etc. Il évoque l’exemple d’Orléans. En charge de la sécurité dans la ville, Florent Montillot a fait ses calculs :

Nous avons noté une chute spectaculaire des dégradations sur les 270 bâtiments publics (0 € depuis 2006 contre 1 million d’euros en moyenne/an au début des années 2000). Il en est de même pour la diminution des dégradations sur la voirie : par exemple, 130 heures d’intervention sur les lampadaires publics vandalisés ont été nécessaires en 2009 contre 529 h en 2005. Également, les primes annuelles d’assurance ont chuté : 800 000 euros en 2001/2002, 50 000 euros en 2009, soit une économie de 750 000 euros/an.

Grâce à l’extension de la fibre optique, nous avons aussi fait des économies sur les dépenses de téléphone dans les services excentrés, soit 300 000 à 400 000 euros d’économie par an. Les économies ont aussi été considérables pour le secteur privé (bâtiments privés, nombre de véhicules volés, nombre de véhicules incendiés…). L’amélioration de la qualité de vie et les économies réalisées ont ainsi permis de favoriser le développement économique avec un taux élevé d’implantation et de création d’entreprises.

Mais comme Florent Montillot l’expliquait lui-même cette semaine lors des dernières rencontres parlementaires sur la sécurité, la vidéosurveillance est un de outils mis en place pour lutter contre la délinquance. Ce que reconnait Dominique Legrand :

“Je ne dis jamais que c’est grâce à la vidéoprotection, c’est tout un ensemble.”

Or, il n’existe pas d’étude rigoureuse permettant de mesurer dans quelle mesure la vidéosurveillance est “rentable” à long terme. Et on est en droit de prendre aussi avec des pincettes les chiffres d’un élu mordu de vidéosurveillance comme Florent Montillot, qui, contrairement aux études des sociologues cités plus hauts, n’a pas passé des mois à étudier des séries statistiques sur le sujet.

Dominique Legrand cite aussi l’étude de 2010 du cabinet Althing à Strasbourg [pdf], qui dressait un bilan “extrêmement positif” dans la lutte contre la délinquance de proximité. Le même cabinet Althing, qui affirmait encore en 2010 :

Il n’y a pas d’étude établissant un lien de causalité direct entre l’installation de caméras et la baisse de la délinquance.

Lorsqu’on lui renvoie son argument des chiffres manipulables, il répond :

“Oui, excepté que je suis prêt à supprimer tel dispositif, on n’a rien à vendre, vous me direz Tanguy Le Goff non plus, excepté qu’il a ses études sociologiques.” Lui n’a rien à vendre – quoique, ils font de la formation, marché en pleine expansion – mais les entreprises qui le financent oui. “Nous l’avons rejoint en 2006, explique Patrice Ferrant, directeur commercial France de Mobotix, le leader européen de la vidéosurveillance haute résolution. Le marché est en pleine mutation technologique, c’est une des rares associations en Europe qui fait la promotion auprès des utilisateurs, avec un partage d’expérience. Nos prospects discutent entre eux, c’est plus intéressant. Et elle s’adresse maintenant aussi aux entreprises, cela élargit le cercle des prospects et c’est un moyen de nous faire connaître.”


Dominique Legrand fait remarquer, à raison, que ce n’est pas à sa petite association de poursuivre le chantier de l’évaluation. Et comme le gouvernement traine des pattes, renvoyant à 2012, non pas une étude sur l’efficacité de la vidéosurveillance mais sur la méthodologie à adopter et que la ville de Lyon, qui en a lancé une, n’aura pas de résultats avant trois ans, les dispositifs peuvent continuer de se déployer, en mode charrue avant les bœufs.

Cnil mon amour

Comme preuve de l’absence de dogmatisme de l’association, Dominique Legrand évoque une réunion intitulée “la vidéosurveillance est-elle liberticide ?” Mais il botte en touche quand on parle de la Cnil et de ses maigres moyens pour contrôler les dispositifs :

- Je ne sais pas y répondre, je ne connais pas leurs moyens.

- Vous lisez les rapports de la Cnil ?

- Pas beaucoup (rires) Il n’y a pas eu de buzz sur une ville faisant n’importe quoi sur la vidéoprotection.

Axel Türk, l’ancien président de la Cnil qui a signé une double page dans Pixel, sera ravie de l’apprendre.

L’AN2V a regretté vivement la censure de l’article 18 de la Loppsi 2 par le Conseil constitutionnel, qui autorisait le recours à des agents privés pour visionner les images prises sur la voie publique :

On sous-traite les femmes de ménage pourquoi pas un opérateur ? Une femme de ménage ça fouilles les poches.

Professionnaliser

Autre signataire d’un texte dans Pixel, Claude Tarlet, le président de l’USP, le premier syndicat de la sécurité privée. Ce lobbyiste tendance char Leclerc y évoque la grande nouveauté de l’année dans son secteur : le Conseil national des activités privées de sécurité (Cnaps), chargé de faire le ménage au sein d’un secteur plutôt cracra. Un but que cherche aussi à atteindre l’AN2V, comme Dominique Legrand l’expliquait dans un appel sur Vidéosurveillance infos.

Dans l’optique du nettoyage, il se montre assez franc sur les dérives actuelles, sans faire de name dropping. Plus tôt, il nous avait parlé d’une commune qui “avait installé une seule vraie caméra sur sa mairie, et les autres, dans la rue commerçante, était fausses. Cela ne lui avait coûté que 4.000 euros. Il avait communiqué sur cette installation. Des casseurs sont venus vandaliser des vitrines, les commerçants et les policiers ont demandé les bandes des enregistrements. C’est un scandale d’avoir fait cela, c’est une vision à court terme.”

Il laisse entendre que les abus existe encore :

- Comment se fait-il qu’il y ait encore des dispositifs inutiles installés ? Il y des consultants et des industriels qui en profitent, sept ans après vos débuts ?

- Sans doute. Ça me navre et je le dis, peut-être que ces personnes ne sont pas assez venues aux réunions.

- Mais vous avez beaucoup de partenaires qui viennent aussi…

- Oui mais je ne les ai pas tous, notamment des bureaux d’études. Beaucoup ne sont pas non structurés. L’AN2V fait partie du Syndicat du Conseil en sécurité avec véhémence, on réclame un SCS fort, diplômant, certifiant. Une fois qu’on a fait la messe à l’AN2V, si on est que trente sachant qu’il y a 36 000 communes…

- Donc pour vous il y a encore de l’abus  ?

- C’est pas de l’abus…

- Dans les bleds où on met dix caméras ?

- Chacun fait ce qu’il a envie. Moi si j’étais maire je ne les aurais pas installées.

- Il y a de l’abus de la part de la personne qui conseille ?

- C’est vous qui le dites.”(rires)

Cache-misère

Quant à une ville sans vidéosurveillance, le réal-pragmatisme qui fait le lit des industries de la sécurité fait surface. Si les pays nordiques sont effectivement moins friands que nous de la vidéosurveillance, c’est en raison de leur aisance, avance le président de l’AN2V. Alors la vidéosurveillance, un placebo ?

C’est une arme ou une matraque nécessaire. On couvre le problème mais peut-être avec le meilleur rendement possible. Sans caméra il faudrait peut-être trois fois plus de policiers.


Portrait de Dominique Legrand par Ophelia Noor pour Owni
Photos sous licences Creative Commons par Charbel Akhras ; Dr John 2500 et Martin Howard via Flickr

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Vidéosurveillance dans les lycées: “les résultats sont décevants” http://owni.fr/2010/04/07/videosurveillance-dans-les-lycees-les-resultats-sont-decevants/ http://owni.fr/2010/04/07/videosurveillance-dans-les-lycees-les-resultats-sont-decevants/#comments Wed, 07 Apr 2010 09:20:19 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=11685

Image CC Flickr by sa treehouse1977

Pourquoi utilise-t-on la vidéosurveillance dans les lycées ? Comment s’en sert-on ? Est-elle utile ? Pour répondre à ces interrogations, et alors que les évaluations sur le sujet étaient rares en France, la Région a demandé une étude sur la vidéosurveillance dans les lycées d’Île-de-France, réalisée par l’Institut d’aménagement et d’urbanisme (IAU) IDF et publiée en 2007.

Cette analyse comparative portait sur dix lycées, pourvus ou non de caméras. Elle dresse un premier bilan sur une technique mise en place depuis 1998 par la Région, en réponse à l’augmentation des faits de violence et d’incivilité dans les établissements, aux côtés d’autres mesures de sécurisation, dispositifs de contrôle d’accès, alarmes anti-intrusion, etc. À l’époque, plus de la moitié des établissements étaient déjà équipés, mais seulement 10% étaient pourvus d’un véritable système quadrillant aussi bien l’intérieur que l’extérieur.

Tanguy Le Goff, qui a dirigé cette étude, revient sur ces résultats qui restent d’actualité, tendance du gouvernement au tout-sécuritaire oblige.


La conclusion qui ressort de votre étude, c’est que la vidéosurveillance coûte cher, 700.000 euros par an, pour un résultat limité.

Par rapport à l’objectif officiel, qui était de lutter contre les intrusions, oui, les résultats sont décevants. On constate en effet qu’en dépit de la mise en place de cet outil, les intrusions continuent. En tant que moyen de dissuasion, de prévention de la délinquance, ce n’est pas efficace.

En revanche, sur d’autres points, les résultats sont plus positifs, même si c’est un élément difficile à déterminer, via des données chiffrées, notamment policières, nous l’avons mesuré surtout au travers de témoignages de gens que l’on a pu rencontrer. De manière assez classique, il y a une efficacité reconnue sur les parkings, cela aurait tendance à faire diminuer les vols de deux-roues et les dégradations de véhicule.

Le manque de réflexion lors de l’installation des dispositifs explique aussi le peu d’efficacité…

Effectivement, il faut poser la question en terme d’usage : comment l’ensemble de la communauté éducative va s’approprier cet outil et que va-t-elle en faire ? Or bien souvent, on constate que la vidéosurveillance a été posée dans l’urgence, dans la mesure où il s’agissait parfois de répondre à une inquiétude, une émotion extrêmement forte de la part des professeurs, des conseillers principaux d’éducation (CPE), parce qu’il y a eu par exemple un enseignant agressé à l’intérieur de l’établissement.

Pour rassurer, on va mettre en place cet objet sans se demander qui va l’utiliser, comment se fera le lien avec le personnel de surveillance, l’agent d’accueil, le personnel de direction. La difficulté, c’est que le personnel ne se l’est pas approprié. Souvent, l’outil est posé au sein d’un établissement, sans que l’on ait réfléchi à la façon dont il va appuyer la politique de sécurité de l’établissement. On en fait donc un usage limité, d’autant plus qu’on en donne souvent la responsabilité à un agent d’accueil, qui n’est pas un agent de l’ordre, il a d’autres missions à accomplir que de regarder les caméras, il le fait donc de manière très épisodique.

Pourtant, la vidéosurveillance est de plus en plus considérée comme une solution aux divers problèmes d’insécurité rencontrés dans les établissements.

C’est vrai, il y a une demande assez récurrente des chefs d’établissements, pour différentes raisons. Déjà, ils pensent que cela va vraiment être utile pour dissuader. Par ailleurs, il y aussi l’idée que les caméras servent à pallier des déficits en matière d’aménagement technique. Ils croient par exemple qu’un lieu mal conçu, que des personnels peuvent difficilement surveiller, sera ainsi sécurisé, alors que c’est un leurre total.

Ceci dit, ils ne sont pas complètement dupes, ils se rendent bien compte, en matière de prévention des vols, que l’efficacité est limitée.

La vidéosurveillance fait partie d’une politique générale de sécurisation des établissements centrée sur la protection contre la menace extérieure, dont vous soulignez les effets pervers.

Oui, d’une part, la logique de clôture de l’établissement a tendance à engendrer un désintéressement du personnel de surveillance pour ce qui passe au-delà des grilles, alors que l’on voit bien que très fréquemment, la plupart des difficultés se jouent vraiment dans l’espace entre le lieu de transport et le lycée, bien souvent son parvis.

Les CPE nous expliquaient que cela ne relève pas forcément de leur compétence, légalement, mais que du coup, du fait de cette logique de fermeture, il y avait un désinvestissement progressif de ce qui pouvait se jouer dans les alentours immédiats de l’établissement. Ce repli est un effet négatif qui n’avait sans doutes pas été imaginé initialement.

Cette logique peut aussi générer une opposition systématique entre le quartier où il se trouve et le lycée, alors qu’auparavant, un certain nombre de lycées étaient considérés comme des espaces qui pouvaient être traversés par la population, c’est-à-dire que l’on allait d’un lieu à un autre en passant par lui. Aujourd’hui, de plus en plus, et on peut le regretter, il devient un lieu à part, a-territorial.

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Image CC Flickr It's Greg

Quelles sont vos recommandations pour que la vidéosurveillance soit utilisée à meilleur escient ?

Nous avons rassemblé dans un cahier des charges nos préconisations. Déjà, avant même d’aller sur la mise en place de caméras, se demander s’il n’y a pas d’autres solutions envisageables : ce peut être des mesures d’aménagement de l’espace, de déplacement du lieu d’accueil, permettant d’avoir une surveillance plus naturelle. Parfois, on s’aperçoit que la loge ou le lieu de vie des enseignants est complètement décalé de l’entrée, ce qui fait que cette dernière n’est pas surveillée. Ces aménagements pourraient à eux seuls contribuer à assurer la sécurité. Cela passe aussi par un nouveau mode d’organisation du travail effectué par les CPE.

Une fois que le recours à la vidéosurveillance a été préconisée, certes il y a des enjeux techniques, mais ils représentent une part minimes, mais au-delà, il faut surtout s’interroger sur l’organisation de l’ordre scolaire et déterminer qui fait quoi, qui va avoir la charge du dispositif. Par exemple, dans le cas d’un agent d’accueil, comment il agit lorsqu’il repère un fait sur une caméra : avec qui doit-il interpeller, que fait-on de ces données, faut-il les transmettre à la police, de quelle manière, comment informe-t-on la police, les parents ? On a en effet constater que ces derniers et les lycéens n’étaient pas toujours informés de la présence des caméras, comment informe-t-on ? On ne pose pas un objet à la va-vite, il faut se poser la question de son intégration au sein d’une politique  de sécurité et de la manière dont on va être en mesure ou non de l’approprier, pour faire en sorte au moins que les usages de cet outil soient au maximum valorisés.

Vous avez réalisé cette étude voilà trois ans : comment la situation a évolué depuis ?

En France, je n’ai pas de données, la vidéosurveillance dans les lycées ne dépend en effet pas de la loi Pasqua de 1995 mais la loi Informatiques et Libertés de 1978, car ils sont considérés comme des espaces privées. C’est donc la Cnil qui est compétente et une simple déclaration est nécessaire. En revanche,  si un certain nombre de caméras visionnent des espaces publics, il faut une demande à l’autorité préfectorale.

Ce qui est sûr, c’est quil y a une politique gouvernementale qui pousse au développement de cet outil. Le financement provient directement de l’État via des budgets donnés à l’Éducation nationale et donc aux lycées, ou des régions.

En IDF, je ne possède pas non plus de données depuis. En tout cas, comme nous avions mis en place un cahier des charges, qui est aujourd’hui respecté,  les démarches sont sans doutes un peu plus longues pour la mise en œuvre de la vidéo, et donc plus pensée, il y a sans doute eu plus de vigilance.

Y a-t-il des pays  qui encadrent mieux le recours à la vidéosurveillance ?

Au Canada, et c’est un peu ce que nous avons développé ici avec les lycées, pour pouvoir installer de la vidéosurveillance, et notamment dans les espaces publics, il faut prouver qu’il n’y a pas d’autre solution plus efficace.

Télécharger ici l’étude intégrale

Voir aussi l’intégralité de notre dossier sur le sujet, où il est entre autre question de la mise en place de portiques de sécurité, du fait que la vidéosurveillance est tellement développée, en Grande-Bretagne, qu’on y trouve des caméras, non seulement dans les salles de classe, mais également dans les toilettes de 10% des écoles :

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