OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Les Anonymous sont-ils des terroristes? (LOL) http://owni.fr/2011/05/09/anonymous-terrorisme-lol-bullshit/ http://owni.fr/2011/05/09/anonymous-terrorisme-lol-bullshit/#comments Mon, 09 May 2011 15:26:31 +0000 Olivier Tesquet http://owni.fr/?p=61901 Invité sur LCI pour évoquer le piratage du PlayStation Network (PSN), une question a failli me faire tomber de mon tabouret:

Les Anonymous peuvent-ils commettre des actes terroristes, en piratant des centrales nucléaires par exemple?

Les “sans-nom d’Internet” ont beau être issus de la “culture du trolling” - cette taxie du Net qui génère à la chaîne des hordes de commentateurs dont le but ultime est de parler très fort – je ne m’attendais pas à un tel déploiement de moyens sur le plateau d’une chaîne de télévision. Une fois que nos oreilles ont sifflé à l’écoute de cette saillie, il y a deux choix: considérer qu’elle est stupide, ou prendre le temps d’y répondre de manière argumentée, pour éviter que ne se propagent les croyances populaires. Non, les Anonymous ne sont pas cachés sous votre lit, non ils ne mangent pas d’enfants ni ne boivent du sang de vierge. De surcroît, la comparaison avec le terrorisme n’est pas neuve: comme le rappelle Gabriella Coleman, anthropologue à la New York University et spécialiste du mouvement, “c’était déjà le cas en 2007″.


L’agitation autour du piratage du PSN a mis en évidence la faille structurelle des Anonymous, qui est aussi leur atout maître: l’anonymat. Accusés par Sony d’être les commanditaires de ce hacking géant qui a déjà mis à nu 77 millions de joueurs (on atteint la barre des 100 en ajoutant les 24 millions de Sony Online Entertainment), les Anon ont démenti toute implication dans un communiqué mis en ligne le 4 mai, avec une ligne de défense simple et concise:

Les Anonymous ne se sont jamais distingués en volant des numéros de carte de crédit.

En d’autres termes, les “hacktivistes” mettent en avant un principe moral, celui de l’auto-régulation par la communauté, pour justifier ce qu’ils s’autorisent, mais surtout ce qu’ils ne s’autorisent pas, comme des pirates qui refuseraient de s’attaquer aux femmes et aux enfants. Malgré leurs dénégations, le mal est déjà fait.

Les Anonymous se font pirater

Depuis quelques mois – nous en avions déjà parlé ici – la structure des Anonymous a évolué. D’un noyau dur issu des imageboards (surtout le /b/ de 4chan) et porté sur la culture LOL, les chans IRC se sont enrichis de nouveaux membres, plus politisés. A la faveur de l’épisode WikiLeaks et des révolutions arabes, les Anonymous ont muté. D’une voix cynique et drolatique, la parole anonyme a pris du corps, sans devenir plus audible pour autant. Aujourd’hui, n’importe qui peut invoquer les Anon pour justifier son idéologie, avec des effets potentiellement contradictoires, et assurément nuisibles pour la communauté.

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si anonops.ru, qui héberge le principal canal de discussion des anonymes, a été piraté le week-end du 7 mai, selon un modus operandi qui n’est pas sans rappeler celui des Anonymous eux-mêmes. Au total, environ 700 adresses IP d’utilisateurs seraient dans la nature, révélant le pseudonyme des “membres” et leur identité supposée. Une bonne partie des utilisateurs passant derrière des proxys pour se connecter, il est souvent impossible de déterminer leur identité. L’ironie de la situation se traduit parfaitement dans le cartoon ci-dessus, mais elle est à relativiser. Parmi les dizaines de noms figurant en clair dans cette liste, on retrouve bon nombre de… journalistes, curieux de voir ce qui se trame sur ces fameuses plate-formes d’échange.

Dans ce qui ressemble fort à une guéguerre intestine entre anciens et modernes (du type 4chan contre Tumblr), on mesure les dissensions au sein de la communauté anonyme. Elle n’a jamais été un corps constitué, mais désormais, elle doit aussi gérer les sensibilités presque infinies de ses petites mains, toutes placées sur un pied d’égalité.

Au seuil de la légitimité

Face à un climat de défiance où le cadre idéologique de ces internautes invisibles se dérobe encore un peu plus, certains commencent à s’interroger sur les limites de l’exercice: les Anonymous peuvent-ils se livrer à des actes criminels? Qu’ils soient ou non derrière le piratage de Sony, ils sont désormais identifiés sur le radar des autorités américaines, peu enclins à la discussion.La rhétorique est bien connue: s’ils ne disent pas leur nom, c’est qu’ils ont quelque chose à cacher, ou que leurs intentions sont mauvaises, en escamotant soigneusement le vrai débat sur l’anonymat en ligne (brillamment défendu par Christopher “moot” Poole, le géniteur de 4chan, dans la vidéo TED ci-dessous).

Déjà, au mois de janvier, le FBI avait lancé 40 mandats d’arrêt contre des pirates présumés. Le motif? Ils étaient accusés de s’être introduit dans les systèmes d’information de plusieurs organismes bancaires, pour protester contre les mesures de rétorsion prises à l’encontre de WikiLeaks.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Dès lors, il faut bien faire le distinguo entre ce que la justice considère comme illégal et ce que les Anonymous eux-mêmes estiment déplacé. S’ils comparent les attaques par déni de service (DDoS) à des sit-ins modernes – donc raisonnables – ils refusent implicitement de se livrer à des opérations frauduleuses telle que celle dont Sony a été victime. Cette frontière peut sembler subtile, mais dans la guerre de l’information, elle pose une question que connaissent bien les groupuscules terroristes auxquels LCI semble vouloir comparer les Anonymous: celle du seuil de la légitimité.

Traditionnellement, la dialectique lie cette légitimité à la légalité. De ce point de vue, on comprend mieux la logique sécuritaire presque paranoïaque: aux Etats-Unis, une attaque DDoS, le mode d’action privilégié des Anonymous, est punie de dix ans de prison.


Crédits photo: Flickr CC Ben Fredericson, stibbon, illustration XBCD

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“Bonjour, vous avez demandé les Anonymous” http://owni.fr/2011/02/01/bonjour-vous-avez-demande-les-anonymous/ http://owni.fr/2011/02/01/bonjour-vous-avez-demande-les-anonymous/#comments Tue, 01 Feb 2011 14:07:03 +0000 Olivier Tesquet http://owni.fr/?p=44895 Petit génie du web, “soupçonné d’avoir participé à une cyberattaque internationale”, passionné par l’informatique depuis qu’il a 6 ans, et même cerveau des vengeurs de WikiLeaks. Depuis quelques jours, la presse s’emballe autour du cas d’un adolescent auvergnat de 15 ans, entendu par la police il y a six semaines à propos de son rôle dans la réponse pro-WikiLeaks: au mois de décembre, alors que plusieurs organismes bancaires tels que Visa ou MasterCard avaient décidé de couper l’approvisionnement du site de Julian Assange, les Anonymous avaient massivement riposté en lançant une série d’attaques par déni de service (DDoS), paralysant les sites des entreprises incriminées. Et à en croire certains, c’est un hacker français pas encore majeur qui aurait coordonné l’opération depuis l’ordinateur familial, “au milieu des t-shirts et des chaussettes sales”.

Ca vous rappelle quelque chose? En mars, François Cousteix, un jeune Auvergnat – déjà – répondant au nom de Hacker-croll, avait été interpellé, soupçonné de s’être introduit frauduleusement sur un système de données, en l’espèce le compte Twitter de Barack Obama. Et tandis que le FBI arpentait les vallons clermontois, le procureur lui-même dégonflait la baudruche. “Ce n’est pas un pirate, le costume est trop grand pour lui”, reconnaissait-il.

Dans un contexte médiatique où l’attention se concentre sur les “mystérieux Anonymous”, la fascination inhérente au secret qui les entoure percute de plein fouet les grilles d’analyse traditionnelles. Première représentation: tout mouvement a un leader, et les Anonymous ne devraient pas échapper à la règle. En dehors du fait que l’article du Figaro ait été écrit par un journaliste membre du Groupe de contrôle des fichiers de police et de gendarmerie présidé par Alain Bauer, déjà célèbre pour ses dithyrambes pro-sécuritaires (qui sont loin de faire l’unanimité), force est de constater que les strates d’Internet n’ont pas encore révélé tous leurs secrets aux journalistes-spéléologues. A titre d’exemple, personne ne s’est demandé comment ce jeune homme avait pu être tracé par les autorités, alors même que LOIC (Low Orbital Ion Cannon), le logiciel qui permet de lancer des attaques DDoS en deux clics, a montré de cruelles failles de sécurité, dévoilant l’adresse IP du belligérant.

“Certains contrôlent l’infrastructure”

Selon Gabriella Coleman, anthropologue et professeur à la New York University et spécialiste du phénomène, “il faut se méfier du sensationnalisme et de la mythologie”. Si elle reconnait que ces erreurs d’appréciation “ont été dans l’air du temps depuis des décennies, et devraient persister encore longtemps”, il est plus que nécessaire de faire un effort d’analyse dès lors qu’on se penche sur le cas très particulier des vengeurs-masqués-transfuges-des-interwebs.

“Les Anonymous ne sont pas un groupe structuré ou homogène, mais ça ne veut pas dire qu’ils n’ont pas de rôles définis, précise d’emblée Coleman, qui avait publié un article très intéressant sur The Atlantic au mois de décembre, embarquée avec les Anon pendant l’Operation Payback. “Certains ont un rôle technique, ils contrôlent l’infrastructure, les serveurs IRC (Internet Relay Chat, services de messagerie en temps réel utilisés pour planifier et coordonner les attaques, NDLR)”. Car c’est sur ce genre de plateformes collaboratives, à laquelle on peut ajouter PiratePad, que se “noue le consensus” entre tous ces internautes hétéroclites.

Sophistication politique

Mais alors, comment expliquer ce regain d’intérêt pour les Anonymous, dont le dernier fait d’armes remontait à 2008 et ce grand combat contre l’Eglise de Scientologie? En décidant de défendre WikiLeaks au moment où les projecteurs étaient braqués sur Julian Assange et son organisation, ils ont donné une nouvelle ampleur à la fameuse Operation Payback, lancée en septembre contre les sites américains d’ayants-droit. Et depuis, ils accompagnent les soulèvements arabes, en Tunisie ou en Egypte, jouant les trouble-fêtes quand l’Internet s’éteint. Gabriella Coleman y voit un phénomène de diversification:

Les Anonymous sont politiquement plus sophistiqués qu’avant. Ils sont passés du statut de troll à celui de militants. Les utilisateurs de 4chan (l’imageboard qui a vu naître le mouvement) ne sont plus seuls, on recense également des geeks lecteurs de Boing Boing ou des activistes technophiles locaux.

Finalement, le meilleur moyen d’appréhender la présence et l’action des Anon, c’est d’évoquer les chiffres plus que d’organiser le storytelling autour de l’arrestation d’un adolescent, qui tend à faire croire que les Anonymous sont des millions de soldats numériques connectés en armée invisible. Selon les estimations de Coleman, on a recensé des milliers d’Anon au plus fort de la bataille contre les organismes bancaires. Aujourd’hui, dans les nuages entre Le Caire et Tunis, 252 canaux IRC sur le serveur principal draineraient entre 365 et 400 personnes.

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Crédits photo: Flickr CC Anonymous9000, Ben Fredericson

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La mutation androïde de Google (1/2) http://owni.fr/2010/07/05/la-mutation-androide-de-google-12/ http://owni.fr/2010/07/05/la-mutation-androide-de-google-12/#comments Mon, 05 Jul 2010 15:40:19 +0000 Ariel Kyrou http://owni.fr/?p=8197 Cette analyse, initialement publiée sur Multitudes (et dans le numéro du mois de juin 2009), de l’imaginaire qui sous-tend les actions de Google, et de ses possibles, reste tout à fait pertinente.  Nous avons choisi de mettre à nouveau cet article en avant, à nouveau en deux fois, pour vous laisser le temps de le savourer.

Titre original :

La mutation androïde de Google :

radiographie d’un imaginaire en actes

En juin 2009 s’ouvre à Sunnyvale, dans la Silicon Valley, le premier programme universitaire officiellement sponsorisé par Google : la « Singularity University ». Le sésame de ces neuf semaines d’intense et d’inédite cogitation multidisciplinaire, se tenant comme un symbole à deux pas du Googleplex de Mountain View, est le concept futuriste de « singularité », inventé par l’un des plus fameux ingénieurs et techno-prophètes de ce qu’on appelle le « transhumanisme » : Ray Kurzweil. Le dogme à partir duquel l’auteur du livre Humanité 2.0 a élaboré cette théorie a de quoi donner le vertige, à qui connaît l’ambition de Google, répétée tel un mantra, d’organiser toute l’information de l’univers [1], de devenir le relais universel de notre quête de données, et ce quels qu’en soient nos supports numériques.

Son hypothèse de départ est que l’essence de la vie tient moins au carbone, à l’oxygène ou à l’eau qu’aux modes d’organisation les plus sophistiqués de la matière. Autrement dit : de l’ADN aux protéines, de l’amibe aux robots humanoïdes, qu’il nous annonce pour un futur proche, la vie repose uniquement sur l’information. Google se veut donc le premier convoyeur de ce qu’il tient comme le carburant vital de l’humanité : l’information.

Et pour cause : cette information aux airs de divinité athée aurait trouvé dans le langage numérique sa forme idéale, et surtout la plus opérationnelle, afin de nous permettre d’accomplir notre destinée « post-humaine ». D’après Ray Kurzweil, en effet, « chaque forme de connaissance humaine ou d’expression artistique peut être exprimée comme une information digitale ». Mieux : l’intelligence elle-même ne serait que du calcul. De la manipulation de données. Jusqu’aux procédés (analogiques) des hormones et neurotransmetteurs du cerveau qui peuvent, selon le gourou de la « Singularity University » financée par Google, être simulés en mode binaire par de simples algorithmes [2], tel le PageRank du moteur de recherche.

Car c’est bien là, dans ce réductionnisme propice aux ambitions les plus démiurgiques, que s’agite l’imaginaire conscient ou inconscient de la firme de Mountain View.

De la technique, des usages et de l’imaginaire de Google

Au-delà de l’étude de sa gestion interne et de ses mécanismes de profit, l’un des modes d’analyse les plus intéressants du discours et de la culture d’une entreprise surtout digitale, est de la situer au cœur d’un triangle dynamique dont les trois sommets sont sa technique, les usages de ses productions et son imaginaire.

Google présente sa technologie comme « neutre » et « démocratique », en un mariage très américain de bonne foi et de propagande. Ses robots de « Crawling » mettent un mois à parcourir les zones les plus peuplées des océans du Web. Le plus célèbre de ses logiciels, PageRank, est décrit par ses sbires comme « un champion de la démocratie », puisqu’il livre ses résultats non seulement selon les occurrences des mots de toute requête, mais en tenant compte du nombre de liens qui pointent sur chaque page et de la réputation des sites d’où partent ces liens.

Du point de vue des usages, là encore, le discours de Google se veut très modeste, ou du moins généreux, car au service de chacun. Comme l’affirme l’un des deux fondateurs de la société, Larry Page, si « la stratégie du portail, c’est d’essayer d’être propriétaire de toute l’information, nous sommes quant à nous heureux de vous envoyer sur d’autres sites. En fait, c’est là le but » [3].

Dont acte. Google ne cherche pas à arraisonner puis à posséder ses clients, mais à être l’outil naturel et presque invisible de leurs usages quotidiens. Sauf que sur la publicité, qui est quasiment sa seule source de profit, le discours de Google tend à gommer voire à « civiliser » le puissant appétit des marques. Or ces marques, dont il est désormais le cavalier blanc sur l’immense échiquier du Net, sont les instruments d’actualisation de son imaginaire autant sinon plus qu’un service rendu aux internautes. Google, pour elles, est comme un évangélisateur du Net… Et de la singularité à venir. Il est le grand prêtre d’une religion de l’information, et se donne pour mission de les convaincre de suivre sa croisade numérique.

Chaque jour, plus contextuelle, fine et personnalisée, la publicité se mue ou plutôt se travestit dès lors en information, même lorsqu’elle reste séparée des réponses aux requêtes sur l’écran du moteur de recherche. Elle se transforme peu à peu en berceuse, douce chanson de notre bien-être collectif et individuel. Et elle donne ou donnera ainsi à Google les moyens d’actualiser ses fantasmes de maîtrise de notre nouveau monde informationnel.

Car, sur ce registre, Google ne fait pas exception : comme toute multinationale, il n’avoue guère sa soif de domination, d’ailleurs essentielle à la confiance de ses actionnaires. Mieux vaut, pour ne point choquer ses ouailles, c’est-à-dire les internautes, s’habiller de la soutane du moine protestant, que de l’uniforme vengeur et des superpouvoirs de Superman, cet être venu de la planète Krypton qui sied pourtant bien mieux à son imaginaire.

De fait, l’imaginaire de Google, tel qu’il se révèle au travers de la singularité dont il porte la première université, navigue à des années lumières de tendres intentions ou même d’un usage qui se veut a priori sans contraintes. Et, pas seulement à cause de la publicité toujours plus finaude et adaptée à l’esprit d’Internet. Chez Google, cet imaginaire dantesque, et à peine masqué, se situe au sommet de mon triangle d’analyse, le tirant très loin vers le ciel. Autrement dit : si l’on place la technique et les usages sur la base de mon triangle, celui-ci s’en trouve totalement déséquilibré. Assez proches en théorie l’un de l’autre, la technique et les usages de Google forment une petite base. Car la technologie de l’entreprise se veut, à entendre son discours, réaliste et opérationnelle, à portée de main des internautes selon les oukases dudit Web 2.0.

L’extrémité imaginaire de mon triangle, bien au contraire, s’avère démesurément haute, à l’échelle de l’ambition hallucinante que révèlent à la fois le credo du « bon géant », les interviews fort singulières de ses deux fondateurs et sa proximité sans ambages avec les techno-prophètes du transhumanisme. Bref, la distance entre les usages des internautes et l’imaginaire de Google semble gigantesque à la lueur de ce décryptage, tout comme celle entre sa technique et ce même imaginaire. Cette distorsion est-elle la conséquence d’une croissance trop rapide ? Du hiatus entre le discours affiché et l’ambition de Google, pour les marques autant que pour la planète et son devenir « singulier » ? Mon triangle théorique, qui n’est qu’un outil d’analyse, en devient si distordu qu’il se transforme en une immense (et dangereuse ?) flèche pointant vers le firmament…

Là où Google se présente comme une compagnie cohérente, citoyenne, modeste et responsable car au service de la recherche d’information de tous, elle m’apparaît en réalité comme un mutant high-tech de l’ère de l’information, perforant (sans le savoir ?) le monde d’une sorte de lance virtuelle, plus fine et aiguisée qu’un avion furtif.

La « singularité » ou l’imaginaire démiurgique de Google

Selon le concept de singularité, pour revenir à l’étude de cette pièce majeure de la culture plus ou moins consciente de Google, « ce ne sont pas les ordinateurs qui sont en train de prendre le pouvoir sur les hommes, mais les humains qui sont de plus en plus enclins à devenir comme des machines pensantes » [4]. Mais attention : comme l’explique le philosophe Jean-Michel Besnier dans son livre Demain les posthumains, cette évolution-là n’est pas vécue comme une mauvaise nouvelle par ces gourous que sont Ray Kurzweil, le pionnier du voyage dans l’espace Peter Diamandis ou Vint Cerf, l’un des pères du Word Wide Web qui a annoncé qu’il participerait à la « Singularity University » de l’été 2009.

De fait, la singularité incarne pour ses partisans l’Intelligence à venir, toute de calcul numérique. Et, pour peu qu’on veuille suivre ces brillants cerveaux, cette intelligence pourrait permettre à l’homme de se débarrasser d’ici à une ou deux générations de son enveloppe corporelle, si limitée, au bénéfice d’un corps intégralement machinique ou presque, forcément plus efficient en terme de traitement de l’information.

Histoire de citer l’une des prophéties de Ray Kurzweil (que tous les ingénieurs de la Silicon Valley ne prennent peut-être pas au sérieux, mais qui les fait rêver de lendemains qui chantent en numérique), il nous suffira, pour échapper à l’obsolescence de nos trop humaines artères, d’« uploader » notre cerveau dans une rutilante carcasse de robot

Aussi surprenantes qu’elles puissent paraître aux yeux de la majorité des chercheurs européens, ces anticipations aux airs de rêve ou de cauchemar scientiste viennent de loin. Elles correspondent à l’hypothèse forte de l’intelligence artificielle, soit l’idée qu’il n’y aurait pas de différence de nature entre une « vraie » conscience et une machine simulant une conscience. L’intelligence artificielle, IA de son petit nom, est née officiellement à l’été 1956, lors de conférences pluridisciplinaires sur le campus du Dartmouth Collège dans le New Hampshire, au nord-est des Etats-Unis. Certains, d’ailleurs, datent de ce symposium la naissance des sciences cognitives, au territoire qui est lui-même un « remix » des neurosciences, de la psychologie, de la linguistique, de l’anthropologie et de la science informatique sous le patronage plus ou moins avéré de l’intelligence artificielle. Il y a, c’est une évidence, comme un air de famille entre ces journées de l’été 1956 où se sont croisés Noam Chomsky et Marvin Minsky, et la « Singularity University » de l’été 2009. Plus d’un demi-siècle plus tard, le must des étudiants, scientifiques, penseurs, ingénieurs et futurologues américains orchestreront cette fois le mariage, plus transdisciplinaire encore, des sciences de l’information, des sciences cognitives, des nanotechnologies, des biotechnologies (carré miracle autrement appelé « NBIC » pour Nano, Bio, Info et Cognition), mais aussi du droit ou de la médecine la plus high-tech.

Avec un enjeu tout sauf diabolique selon le credo de Google, mais à peine moins démesuré que la fabrication d’une conscience artificielle : « combler le fossé entre la compréhension et l’application » des technologies les plus en pointe de notre temps, et trouver ainsi des « solutions à la crise énergétique, à la pauvreté, à la faim ou encore aux pandémies » [5].

Bienvenue dans l’ère post-PC

Le développement de Google a dépassé depuis bien longtemps la perspective des seuls PC de la planète connectée. Sans ambiguïté aucune, l’horizon de Google est celui de l’Internet « everyware ». Soit un mot-valise (« everywhere + hardware / software ») inventé par Adam Greenfield, qui se définit comme un architecte de l’information, afin de caractériser l’ère de l’informatique ubiquitaire, partout présente car n’ayant plus besoin d’ordinateurs [6].

Dans ce monde, qui devient peu à peu le nôtre, tous les objets, lieux et corps constituent les composants d’une technologie devenue invisible. Imaginez. Le caddie de supermarché, la porte du bureau, la table du salon, le fauteuil du train, l’automobile, l’atelier, la borne Vélib’, l’enseigne de la boîte de nuit, la salle de classe, le dentier du grand-père ; le plus insignifiant instrument de cuisine se transforme en outils « intelligents ». Ils communiquent entre eux ou avec nous par la grâce d’un Internet « pervasif », omniprésent au quotidien dans un bain d’intelligence ambiante comme aujourd’hui l’électricité est accessible de partout dans notre vie sans même que nous y pensions. Les puces, pour nous faire atteindre ce nirvana de l’invisibilité et de l’ubiquité technologique, s’extirpent de leurs boîtiers. Les capteurs d’informations se nichent dans les plus infimes recoins, du panneau publicitaire au réfrigérateur, de la table du restaurant au col de chemise, du collier du chien à la peau de notre dos ou de notre bras. Et les nanopuces RFID (Radio Frequency IDentification), de reconnaissance vocale ou biométriques, d’identifier les personnes, les gestes, les objets, etc., le tout pour notre confort et de notre plein gré, bien évidemment.

Cet univers « post-PC », où les technologies du numérique s’immiscent dans le moindre de nos gestes quotidiens, se construit ici et maintenant. Et Google est l’un des acteurs majeurs de cette lente et discrète révolution, qui aiguise les féroces appétits des acteurs de la planète numérique, Internet se dissolvant dans un monde intégralement connecté.

En 2007 et 2008, dans le monde des télécoms, une rumeur courait comme quoi se concevait dans l’ombre de Mountain View un « Google Phone ». L’ogre souriant a été plus malin. Il a créé un « Operating System », non pas fermé comme le Mac OS d’Apple ou le Windows de Microsoft, mais « ouvert », et potentiellement adaptable à une ribambelle d’appareils et autres futures prothèses techniques de l’humanité. Fidèle en cela à la philosophie économique fort innovante de la compagnie [7], cet OS est proposé en open-source, donc sans exclusivité, à tous les fabricants de terminaux mobiles et leurs développeurs, afin qu’ils magouillent eux-mêmes leurs propres produits à partir du socle des services du moteur de recherche. Son nom, ce n’est pas tout à fait un hasard, est Android. Soit, pour l’anecdote, le patronyme de la start-up spécialisée dans le développement de logiciels pour terminaux mobiles que Google a racheté en août 2005, comme il s’est offert, avec mille fois moins de discrétion et pour une somme toute autre, le site de partage de vidéos YouTube en octobre 2006. Ou comme un bruit persistant veut qu’il tente aujourd’hui de se payer Twitter, nouvelle coqueluche du « micro-blogging » : des micro-messages de 140 caractères, circulant par tous les types de terminaux en rafales de témoignage en temps dit réel, et que s’envoient déjà, de par le monde, des millions et sans doute bientôt des dizaines de millions d’utilisateurs [8] …

> Article initialement publié sur Multitudes

> Lire la suite /-)

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Crédits Photo CC Flickr : Ruth HB.

Re-daté pour raisons techniques, cet article a été originellement publié le 15 février 2010.

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Internet, source de l’exploitation capitaliste ? http://owni.fr/2010/03/11/internet-source-de-lexploitation-capitaliste/ http://owni.fr/2010/03/11/internet-source-de-lexploitation-capitaliste/#comments Thu, 11 Mar 2010 08:55:12 +0000 Arno http://owni.fr/?p=9797 scarabe

La soucoupe accueille Arno, auteur du Scarabée, vieux de la vieille du web français (1996 !). Dans ce billet, il exprime son désaccord avec le théoricien des médias Matteo Pas­qui­nelli, qui a récemment expliqué sa thèse dans une interview d’Écrans intitulée « Nous n’exploitons pas le réseau, c’est le réseau qui nous exploite ».

Écrans, dans Libé­ration, a publié mer­credi une interview de Matteo Pas­qui­nelli, « théo­ricien des médias », titrée « Nous n’exploitons pas le réseau, c’est le réseau qui nous exploite ».

L’interview est censée illustrer un article de Marie Lechner, « Effet de serfs sur la Toile ». L’article pose la question :

Internet serait-​​il en train de devenir la matrice d’un nouveau système féodal, où une poignée de grands sei­gneurs exploitent des légions de serfs ? Et non cette société de pairs tant célébrée ?

L’argumentaire se contente de répéter un article de Pierre Lazuly publié en août 2006 par le Monde diplo­ma­tique : « Télé­travail à prix bradés sur Internet ». Mais là où l’ami Lazuly pré­sentait un phé­nomène alors peu connu et se contentait de conclu­sions sur ce phé­nomène spé­ci­fique, l’article d’Écrans extrapole sur la dénon­ciation d’un « mythe » de l’internet (« cette société de pairs tant célébrée » — mais qui a réel­lement célébré cela ?) en se basant non sur une démons­tration, mais sur des extraits d’une unique interview avec Matteo Pasquinelli.

Simi­lai­rement, l’économie du parasite imma­tériel n’est pas basée sur l’exploitation directe ou l’extorsion, mais sur la rente, estime le théo­ricien. La rente serait le nouveau modèle écono­mique dominant du capi­ta­lisme cog­nitif et d’Internet. Pour sché­ma­tiser, le profit est le revenu obtenu par la vente de biens ; la rente, le revenu fourni par l’exploitation mono­po­lis­tique d’espaces.

Or, cette « inno­vation » concep­tuelle n’a rien de nouveau, malgré l’omniprésence, paraît-​​il, des mythes égali­taires de l’internet. Mais qui sou­tenait ces mythes, sinon Libé­ration en 1999-​​2000 ? C’est exac­tement ce que nous disions, dans notre « tir de barrage » col­lectif (à l’époque : uZine, le Sca­rabée, les Chro­niques du menteur, l’Ornitho, Péri­phéries). Voir par exemple mon billet intitulé « Au secours, mon fils entre­pre­naute est en train de se noyer ! » (mai 2000) :

On trouve tou­jours autant d’articles dans la presse pour pré­senter ces concepts nova­teurs, révo­lu­tion­naires. Pourquoi ne pas dire tout sim­plement qu’on veut accé­lérer l’établissement du néo­libéralisme et mar­chan­diser ce bien public qu’est le savoir ? Pourquoi ne pas le dire sim­plement : nous allons pri­va­tiser et raréfier ce bien public, et établir des mono­poles de l’information ?

Tout le monde sait que le déve­lop­pement du réseau ne s’est pas fait de manière magique, indé­pen­dante du monde phy­sique. On sait depuis les années 1990 que la mas­si­fi­cation des accès est lar­gement liée à des intérêts de déve­lop­pement capitaliste.

Même parmi les grands anciens du Web français, il n’y a jamais eu de naïveté sur ce point. Ainsi Laurent Chemla publiait-​​il ses « Confes­sions d’un voleur » en 2002 :

Je suis un voleur. Je vends des noms de domaine. Je gagne beaucoup d’argent en vendant à un public qui n’y com­prend rien une simple mani­pu­lation infor­ma­tique qui consiste à ajouter une ligne dans une base de données. Et je vais gagner bien davantage encore quand, la pénurie arti­fi­cielle ayant atteint son but, le com­merce mondial décidera d’ouvrir quelques nou­veaux TLD qui atti­reront tous ceux qui ont raté le virage du .com et qui ne vou­dront pas rater le virage suivant.

On peut même penser que son aspect « liberté d’expression », désormais acces­sible à tous, se retrouve dans les besoins capi­ta­listes et néo­li­béraux : un déve­lop­pement capi­ta­liste de l’internet qui, pour une large part, récupère l’argument liber­taire de la pos­si­bilité d’expression publique indi­vi­duelle (tant qu’elle ne rentre pas en concur­rence avec ses intérêts), l’exploite à son profit et, même, en fait un argument mar­keting de son propre déve­lop­pement (ce qui, évidemment, permet ensuite la dénon­ciation des « libéraux-​​libertaires » sur la base de cette récupération).

L’article se termine ainsi sur une citation de l’interview :

« À l’époque féodale, c’était l’exploitation de terres cultivées par des paysans, à l’âge d’Internet, c’est l’exploitation d’espaces imma­té­riels cultivés par des pro­duc­teurs culturels, pro­sumers [consom­ma­teurs pro­duc­teurs, ndlr] et par­tisans de la “free culture”. »

Et voilà : l’amalgame entre une « free culture » et sa récu­pé­ration par le capi­ta­lisme permet de dénoncer l’ensemble : les liber­taires et autres par­tisans de l’accès des indi­vidus à l’expression publique ne seraient ainsi que des idiots utiles du capi­ta­lisme néo­li­béral, rebaptisé ici « néoféodalisme ».

Notons cette remarque per­ti­nente d’un par­ti­cipant du forum, Oliviou, qui anéantit en un para­graphe cette idée de « néo­féo­da­lisme » de l’internet :

La com­pa­raison avec le servage ne tient pas. Le serf est obligé de tra­vailler pour le sei­gneur pour avoir le droit d’habiter sur ses terres. L’internaute peut « habiter » internet comme il l’entend : y résider, y passer, trouver des infor­ma­tions, glander… Et c’est (la plupart du temps) gratuit, et on ne lui impose rien en échange (en dehors de payer un abon­nement, et encore…). C’est l’internaute qui décide de ce qu’il veut faire ou pas pour les « sei­gneurs », béné­vo­lement. C’est valable aussi bien pour les contenus moné­tisés dont vous parlez que pour wiki­pedia, par exemple.

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Photo A. Diez Herrero sur Flickr

Venons en à l’interview de Matteo Pasquinelli. Nous apprenons que :

Matteo Pas­qui­nelli est cher­cheur à la Queen Mary Uni­versity de Londres. Dans son livre Animals Spirits, le théo­ricien des médias iden­tifie les conflits sociaux et les modèles écono­miques à l’œuvre der­rière la rhé­to­rique de la culture libre.

La pré­sen­tation du livre sur le site de l’auteur devrait déjà inquiéter :

After a decade of digital feti­shism, the spectres of the financial and energy crisis have also affected new media culture and brought into question the autonomy of net­works. Yet activism and the art world still cele­brate Creative Commons and the ‘creative cities’ as the new ideals for the Internet gene­ration. Unmasking the animal spirits of the commons, Matteo Pas­qui­nelli iden­tifies the key social conflicts and business models at work behind the rhe­toric of Free Culture. The cor­porate parasite infil­trating file-​​sharing net­works, the hydra of gen­tri­fi­cation in ‘creative cities’ such as Berlin and the bice­phalous nature of the Internet with its por­no­graphic under­world are three untold dimen­sions of contem­porary ‘politics of the common’. Against the latent puri­tanism of authors like Bau­drillard and Zizek, constantly quoted by both artists and acti­vists, Animal Spirits draws a conceptual ‘book of beasts’. In a world system shaped by a tur­bulent stock market, Pas­qui­nelli unleashes a poli­ti­cally incorrect grammar for the coming gene­ration of the new commons.

Voilà donc un briseur de tabous (digital feti­shism) qui dénonce les Creative Commons, les « villes créa­tives » et la « Free Culture ». Excusez l’a priori, mais on a l’habitude aujourd’hui de se méfier de ces bri­seurs de tabous qui osent le « poli­ti­quement incorrect », de Domi­nique Wolton à Nicolas Sarkozy. Un dis­cours qui, sous des atours de dénon­ciation du néo­li­bé­ra­lisme (le titre Animal spirits renvoie à une expression forgée par Keynes en 1936), des com­mu­nau­ta­rismes, de l’exclusion, s’attaque en fait direc­tement à ceux qui tentent réel­lement des approches alter­na­tives au néolibéralisme.

L’interview commence par une question à la noix :

Dans votre livre, vous cri­tiquez le « digi­ta­lisme » contem­porain, soit la croyance selon laquelle Internet est un espace libre de toute forme d’exploitation, qui nous mènerait natu­rel­lement vers une société du don.

Quel est ce « digi­ta­lisme » contem­porain, qui le sou­tient, où peut-​​on lire ce genre de lubies ? On n’en saura rien. C’est le principe du brisage de tabou : le tabou n’a pas besoin d’exister, il suffit de le dénoncer.

Réponse peu intéressante, mais qui explique :

Si, dans les années 90, nous fai­sions le rêve poli­tique d’une auto­nomie du réseau, aujourd’hui, nous ne faisons que sur­vivre dans un paysage dominé par les monopoles.

« Sur­vivre dans un paysage dominé par les mono­poles », est-​​ce que cela prend par exemple en compte le fait que je puisse louer, auprès d’une petite entre­prise, immé­dia­tement et le plus sim­plement du monde, un serveur Web relié en per­ma­nence au réseau, tournant avec des logi­ciels libres, y ins­taller des outils de publi­cation en ligne tota­lement libres, et pouvoir toucher poten­tiel­lement des mil­lions de lec­teurs, cela pour le même prix qu’un abon­nement à une chaîne de télé­vision privée ? Alors qu’auparavant, pour le même prix, j’aurais pu imprimer environ 200 pho­to­copies A4 que j’aurais dû scotcher sur les murs (en espérant éviter une amende pour affi­chage sauvage).

Admettons cependant qu’avec mon serveur per­sonnel, ma page per­son­nelle, mes mil­liers de lec­teurs, etc., je sois comme un rat en train de sur­vivre au milieu de la Babylone capi­ta­liste du Web.

Quels sont les mono­poles sur le Web ? Quelle est leur via­bilité écono­mique ? Que rôle joue la concur­rence entre ces mono­poles ? Il est tou­jours facile d’extrapoler à partir du cas Google, en oubliant qu’il est le seul acteur de sa dimension sur l’internet, qu’il est aussi qua­siment le seul ren­table, et que par ailleurs une seule de ses acti­vités (la publicité en ligne) est ren­table (et finance toutes ses autre activités).

Depuis la fin des années 90 et la pre­mière vague de startups, l’économie capi­ta­liste de l’internet fonc­tionne sys­té­ma­ti­quement sur ce modèle : inves­tis­sement massif initial (capital-​​risque) pour tenter d’établir un monopole de fait sur un secteur du marché. C’est ce que je décrivais en février 2000 sous le titre « Les prin­cipes généraux d’une belle arnaque », et qui est désormais connu sous le nom « Modèle IPO » :

L’activité d’une start-​​up, autant du point de vue de l’entreprenaute que du capital-​​risqueur, est donc toute entière tournée vers la séduction des marchés finan­ciers : le but n’est pas la création de richesses et d’emplois, la ren­ta­bilité pro­ductive ni le progrès des com­pé­tences (laissons tout cela aux idéa­listes !), mais l’intoxication des inves­tis­seurs lors de l’introduction sur le marché. L’activité de l’entreprise (vendre des bidules, rerouter des emails, héberger des sites…) est donc secon­daire dans cette optique (et, de toute façon, peu ren­table) : ça n’est que l’alibi d’un men­songe spé­cu­latif plus vaste. Il ne s’agit pas, en quelques années, de réel­lement valoir quelque chose, mais de faire croire au marché que l’on vaut quelque chose.

Pour l’instant, la plupart des « mono­poles » de l’internet suivent tou­jours ce modèle de déve­lop­pement, sans réelle ren­ta­bilité, mais avec un déve­lop­pement ful­gurant à base d’ouvertures du capital. L’explosion de la pre­mière bulle internet nous a débar­rassé de la pre­mière vague de start-​​ups. On ne sait pas ce qui arrivera à la nou­velle vague, mais dénoncer les mono­poles d’aujourd’hui comme un fait écono­mique, poli­tique et social accompli immuable c’est, à nouveau, oublier les rela­tions capi­ta­listes qui régissent ces monopoles.

On bouffait déjà de la « des­truction créa­trice » en 2000, théorie qui date du siècle dernier (Joseph Schum­peter, 1942) : le déve­lop­pement capi­ta­liste des entre­prises vise à l’établissement de mono­poles tem­po­raires de fait, mono­poles qui seront inexo­ra­blement détruits et rem­placés par l’évolution tech­nique et capi­ta­liste. Il faut croire que, dix ans plus tard, par quelques chan­gement capi­ta­liste magique, on devrait être convaincus que des mono­poles sans ren­ta­bilité sont là pour toujours.

Question suivante :

Dans son livre la Richesse des réseaux, Yochai Benkler déclare que l’information n’est pas en concur­rence, et prédit un mode de pro­duction non com­pé­titif. Vous réfutez ce credo.

Là, je suis content de voir citer un livre publié en 2009 pour dénoncer une inno­vation concep­tuelle, la non-​​rivalité de l’information. C’est pourtant l’une des théories à la noix qu’on nous four­guait déjà lors de la pre­mière vague de déve­lop­pement de la nou­velle économie, et j’y consa­crais une longue partie de « Au secours, mon fils entre­pre­naute… » en 2000.

Le théo­ricien des médias dénonce donc ici un mythe déjà dénoncé il y a dix ans, et que la chute de la pre­mière bulle spé­cu­lative de l’internet a déjà, dans la pra­tique, mise à bas.

Mattheo Pasquinelli :

Regardez les tra­vailleurs cog­nitifs et les free­lances créatifs de la pré­tendue géné­ration laptop. Ont-​​ils l’air de ne pas être en concurrence ?

Mais quel rapport entre la non-​​rivalité de l’information et la non-​​concurrence entre ceux qui la pro­duisent ? Per­sonne n’a jamais confondu les deux (à part un pro­vi­dentiel livre de 2009 qui décou­vrirait une vieille lune et un « mode de pro­duction non com­pé­titif »), et même ceux qui théo­ri­saient la non-​​rivalité de l’information la liaient à la concur­rence des entre­prises qui la pro­duisent pour jus­tifier les inves­tis­sement capi­ta­lis­tiques des startups. L’idée (même fausse) étant qu’il fallait investir mas­si­vement, à perte pour une longue période, pour déve­lopper les mono­poles qui, ensuite, ven­draient ce produit dont la vente peut être répétée à l’infini (puisqu’on peut vendre exac­tement le même produit déma­té­rialisé plu­sieurs fois, alors qu’on ne peut vendre un disque phy­sique qu’à un seul client — il faut fabriquer un second disque phy­sique pour un second client).

De fait, la confusion entre la non-​​rivalité d’un bien et la non-​​concurrence des pro­duc­teurs n’a jamais existé, bien au contraire. C’est la concur­rence même des pro­duc­teurs d’un bien non-​​rival qui a jus­tifié les inves­tis­se­ments capi­ta­lis­tiques sur le Web depuis dix ans. C’est un « mythe » inexistant qui est ici dénoncé.

La question sui­vante entend dénoncer « l’exploitation para­si­taire de l’économie imma­té­rielle par l’économie maté­rielle ». Rien de nouveau, mais on note :

Prenons les réseaux peer to peer. Ils sabotent les revenus de l’industrie du disque mais, en même temps, ils établissent un nouveau com­merce, celui des lec­teurs mp3 et iPods.

Cette dénonciation des réseaux peer to peer revient dans le point suivant :

Un exemple basique : le numé­rique a changé le monde de la musique d’une manière néo­féodale. Les réseaux peer to peer ont affecté à la fois les grands noms de l’industrie musicale et l’underground. Le numé­rique a rendu la scène musicale plus com­pé­titive et pola­risée, seuls quelques noms peuvent sur­vivre dans un marché où les disques ne se vendent plus.

Si, évidemment, le progrès tech­nique influe sur l’économie de la musique, l’idée que ce sont les réseaux peer to peer qui « sabotent les revenus de l’industrie du disque » et pro­voquent son passage dans une structure « néo­féodale » est grotesque.

Seuls les tenants les plus obtus de Hadopi pensent cela et peinent à le démontrer. On a le droit de penser que la structure de l’industrie du disque était « féodale » bien avant l’arrivée du numé­rique (et que l’arrivée du numé­rique pourrait être une alter­native à la dépen­dance absolue des artistes face aux indus­triels), et que le numé­rique aug­mente la consom­mation mar­chande des biens culturels tout en ren­forçant la concur­rence entre ces biens (les dépenses consa­crées aux biens culturels aug­mentent lar­gement, mais le disque est concur­rencé par les autres dépenses dans les moyens de com­mu­ni­cation, les jeux vidéo, les abon­ne­ments à la télé­vision, les DVD, etc.).

Puis de dénoncer la gentrification des « villes créatives » :

Prenez les « villes créa­tives » et observez le pro­cessus de gen­tri­fi­cation. Le grand vain­queur de ce capital sym­bo­lique col­lectif produit par les mul­ti­tudes de créatifs branchés est le marché de l’immobilier.

Ou comment inverser tota­lement les causes et les effets (et on se demande quel est le rapport avec le déve­lop­pement de l’internet). La gen­tri­fi­cation des espaces urbains est ana­lysée, par exemple, dans cette étude. Certes, les acteurs peuvent (som­mai­rement) être qua­lifiés de « créatifs branchés » :

La gen­tri­fi­cation pari­sienne est donc prin­ci­pa­lement menée par des acteurs privés à travers la réha­bi­li­tation de l’habitat popu­laire (Clerval, 2008b). Ce sont notamment des artistes et des archi­tectes à la recherche de locaux pro­fes­sionnels qui inves­tissent les anciens espaces arti­sanaux et indus­triels de l’Est parisien dès la fin des années 1970, parfois dans le sillage du mou­vement des squats de cette décennie (Vivant et Charmes, 2008). Mais plus lar­gement, à la même époque, des ménages des classes moyennes – parmi les­quels les pro­fes­sions cultu­relles sont sur-​​représentées – acquièrent des loge­ments dans un quartier popu­laire et les réha­bi­litent (Bidou, 1984)

Mais les causes ne sont pas les « créatifs branchés » eux-​​mêmes, mais des fac­teurs struc­turels de l’emploi et du logement :

Comme ailleurs, la gen­tri­fi­cation des quar­tiers popu­laires pari­siens s’explique par plu­sieurs fac­teurs struc­turels dans le domaine de l’emploi ou du logement. Le plus évident est la baisse continue du nombre d’emplois d’ouvriers en Île-​​de-​​France et à Paris depuis les années 1960. Elle s’accompagne de la baisse du nombre d’emplois peu qua­lifiés du ter­tiaire (employés) à Paris depuis les années 1980, tandis que les emplois de cadres et de pro­fes­sions intel­lec­tuelles supé­rieures (CPIS) aug­mentent consi­dé­ra­blement dans la même période (Rhein, 2007 ; Clerval, 2008b). Cette trans­for­mation de la structure des emplois en Île-​​de-​​France s’explique elle-​​même par la recom­po­sition de la division inter­na­tionale du travail, accé­lérée par les poli­tiques macro-​​économiques néo-​​libérales depuis les années 1980 : la déré­gle­men­tation et l’intégration inter­na­tionale de l’économie favo­risent la mise en concur­rence de la main-d’œuvre ouvrière à l’échelle mon­diale et faci­litent la glo­ba­li­sation de la pro­duction indus­trielle, tandis que la métro­po­li­sation qui en découle entraîne la concen­tration des emplois qua­lifiés en Île-​​de-​​France. Cependant, la trans­for­mation de la structure des emplois ne suffit pas à expliquer la sélection sociale crois­sante à l’œuvre dans l’espace rési­dentiel de Paris intra-​​muros (Clerval, 2008b). Les struc­tures du logement et du marché immo­bilier y accen­tuent les dyna­miques opposées des CPIS et des caté­gories popu­laires (ouvriers et employés). L’habitat popu­laire ancien se dégrade sous l’effet des stra­tégies de ren­ta­bi­li­sation à court terme des bailleurs ou de leur volonté de se des­saisir de leurs biens (en par­ti­culier des immeubles entiers). Les poli­tiques de construction massive de loge­ments sociaux en ban­lieue dans les années 1960-​​1970 ont entraîné un départ important des classes popu­laires pari­siennes en péri­phérie et un effet de vacance dans les quar­tiers popu­laires. Ceux-​​ci sont en partie investis par des popu­la­tions plus pré­caires, souvent immi­grées, ou au contraire par des ménages gen­tri­fieurs. Vacance par­tielle et dégra­dation de l’habitat créent un dif­fé­rentiel de ren­ta­bilité fon­cière (Smith, 1982) dans ces quar­tiers proches du centre : après leur inves­tis­sement par les pre­miers gen­tri­fieurs et l’apparition de com­merces à la mode (Van Crie­ckingen et Fleury, 2006), de nom­breux quar­tiers deviennent poten­tiel­lement lucratifs pour les investisseurs.

La gen­tri­fi­cation n’est en aucune façon causée par les « créatifs branchés ». Ils en sont pour une part les acteurs visibles. Mais les causes réelles sont étran­gères à ces acteurs. Écrire : « Le grand vain­queur de ce capital sym­bo­lique col­lectif produit par les mul­ti­tudes de créatifs branchés est le marché de l’immobilier. » est une inversion de la réalité. Elle est bâtie, en gros, sur la même idée qui permet de pré­tendre que les liber­taires sont la cause du néo­li­bé­ra­lisme capi­ta­liste sur le Web.

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Photo gordon (TK8316) sur Flickr

Mais la fin de l’interview permet de com­prendre pourquoi le théo­ricien séduit les journalistes :

On parle souvent de la crise de la classe ouvrière comme d’une entité poli­tique. Mais ce qui se passe aujourd’hui sous nos yeux est une crise de la classe moyenne cog­nitive. Il y a un mot inté­ressant dans la théorie cri­tique fran­çaise, qui examine le capi­ta­lisme cog­nitif : « déclas­sement » – quand une classe sociale est rabaissée, perdant prestige social et écono­mique. En cette décennie du Net, nous faisons l’expérience d’un déclas­sement massif des tra­vailleurs cog­nitifs devenus des tra­vailleurs pré­caires. Le néo­féo­da­lisme est aussi cette dépos­session des acteurs intermédiaires.

Ah, le monopole Google et la « décennie du net », moteurs du déclas­sement des « tra­vailleurs cog­nitifs ». Au premier rang des­quels, on s’en doute, les journalistes.

Mais la trans­for­mation des jour­na­listes en « intellos pré­caires » n’a pas attendu « la décennie du Net ». Là encore, on confond acteurs et causes.

D’abord, il est évident qu’après avoir laminé les classes popu­laires (fin des années 70, début des années 80), le néo­li­bé­ra­lisme s’attaquerait à la classe du dessus.

Le déclas­sement des diplômés est un phé­nomène qui n’a rien à voir avec le Net. Lire par exemple cet article de Sciences humaines.

Au début des années 2000, selon l’étude de Lau­rence Lizé, cher­cheuse à l’université Paris-​​I, environ un tiers des jeunes subissent une situation de déclas­sement. La plus forte crois­sance du phé­nomène se situe entre 1986 et 1995 et a par­ti­cu­liè­rement touché les titu­laires d’un bac et d’un bac +2. La période de tas­sement de l’emploi entre 2001 et 2004 a quant à elle atteint plus sévè­rement les plus diplômés : le pour­centage de diplômés du 3e cycle à devenir cadre est alors tombé de 85 % à 70 %.

Ce déclas­sement, en forte crois­sance entre 1986 et 1995 (faire moins bien que mes parents, à même niveau d’étude), d’ailleurs, j’en témoi­gnais ici même en 1996.

Quant à la trans­for­mation de la presse et la pré­ca­ri­sation des jour­na­listes, là non plus on n’a pas attendu « la décennie du Net » pour mettre en place les poli­tiques néo­li­bé­rales qui ont pro­fon­dément changé la situation : la libé­ra­li­sation de la télé­vision et de la radio, c’est dans les années 1980, avec les modèles Bouygues et Ber­lusconi ; la mutation du quo­tidien Le Monde est bien entamée dans les années 90 ; la trans­for­mation de la presse en « groupes mul­ti­médias » à base d’investissements capi­ta­lis­tiques massifs se fait en même temps que la pre­mière bulle internet. Et on pourra lire de nom­breux billets de Narvic pour se remé­morer les choix stra­té­giques aber­rants des entre­prises de presse sur le Web, qui n’ont pas grand chose à voir avec une nature intrin­sèque de l’internet.

Revenons sur la question des « creative commons » et de la « culture libre », qui n’est pas réel­lement traitée dans l’interview, mais semble cen­trale dans son livre. Il y a à nouveau une confusion : les entre­prises du « Web 2.0 » (pour sim­plifier) dont l’activité est fondée sur l’exploitation mar­chande de contenus générés par les usagers n’ont jamais mis les « creative commons » en avant. Au contraire, toutes ont com­mencé par entre­tenir un flou vaguement artis­tique sur la pro­priété des contenus. Ça n’est que sous la pression des usagers que sont apparus les exposés clairs des licences uti­lisées ; une large partie des entre­prises a alors explicité que, tout sim­plement, le contenu devenait la pro­priété du service mar­chand ; et une minorité a mis en avant la pos­si­bilité de passer ses créa­tions sous Creative Commons (par exemple Flickr). Dans ce cas (l’usager définit la licence de ses propres apports), les Creative Commons sont arrivées comme un moyen de for­ma­liser une situation de fait en redonnant, a pos­te­riori, un certain contrôle par l’usager.

Avant cela, la situation emblé­ma­tique a été IMDB ; cette énorme base de données ali­mentée par les usagers a été vendue à Amazon en 1998 : les mil­liers d’usagers qui avaient fabriqué cette res­source docu­men­taire phé­no­ménale se sont sentis exploités lors de cette revente au profit des seuls créa­teurs « tech­niques » du service. Et sans la conscience apportée par la suite par les mou­ve­ments du libre et des Creative Commons au néces­saire contrôle des usagers sur les licences des sites contri­butifs, ils n’avaient aucune arme, ni juri­dique ni même concep­tuelle, pour répondre à une telle situation.

Ça n’est donc pas la « free culture » qui a fabriqué ni permis l’exploitation com­mer­ciale du travail col­lectif. C’est au contraire elle qui tente de fournir des armes intel­lec­tuelles et juri­diques aux contri­bu­teurs de ce travail col­lectif. Sans la « free culture », la question ne se poserait pas, et le transfert sys­té­ma­tique des droits vers les entre­prises serait aujourd’hui le seul modèle existant.

Un extrait d’un autre texte de Pas­qui­nelli aborde le sujet de la « culture libre », « Imma­terial Civil War » :

An example of the com­pe­tition advantage in the digital domain is the Wired CD included with the November 2004 issue under the Creative Commons licences. Music tracks were donated by Beastie Boys, David Byrne, Gil­berto Gil, etc. for free copying, sharing and sam­pling (see : http://www.creativecommons.org/wired). The neo­li­beral agenda of Wired magazine pro­vides the clear coor­di­nates for unders­tanding that ope­ration. Indeed, there are more examples of musi­cians and brain workers that asso­ciate their activity with copyleft, Creative Commons or file sharing on P2P net­works. We only heard about the first runners, as it is no longer a novelty for those who came second. Anyway, there never is a total adhe­rence to the Creative Commons crusade, it is always a hybrid strategy : I release part of my work as open and free to gain visi­bility and cre­di­bility, but not the whole work. Another strategy is that you can copy and dis­tribute all this content, but not now, only in four months. And there are also people com­plaining about Creative Commons and Free Software being hijacked by cor­po­ra­tions and majors – the point is that the world out there is full of bad music which is free to copy and dis­tribute. No scandal, we have always sus­pected it was a race.

Parce que des néo­li­béraux uti­lisent l’argument libre, parce que des artistes de renommée mon­diale (signés et liés contrac­tuel­lement à leur major) dif­fusent une partie des mor­ceaux à titre publi­ci­taire sous cet emballage, en confondant Copyleft, Creative Commons, logi­ciels libres et réseaux P2P, en occultant la qualité et la richesse des pro­duc­tions « libres » par ailleurs, en oubliant que dans une société capi­ta­liste aucun individu ne peut faire l’impasse sur les impé­ratifs écono­miques qui pèsent quo­ti­dien­nement sur lui, il est aisé de conclure que la phi­lo­sophie du libre n’est qu’une course de rats.

Quant à l’aggravation de la cession des droits d’auteurs des jour­na­listes sur l’internet, elle n’est pas non plus due aux mili­tants du libre, mais aux lobbies de patrons de presse relayés par le légis­lateur : « Hadopi contre le droit d’auteur des jour­na­listes : c’est confirmé ». Dif­ficile de trouver ici un rapport avec la phi­lo­sophie des Creative Commons.

Évidemment, après la dénon­ciation des pseudos-​​tabous de l’internet, on peut se per­mettre de pré­tendre être le premier à réfléchir :

Nous devrions réel­lement com­mencer à dis­cuter la pro­duction, l’extraction et l’accumulation de valeurs écono­miques réelles réa­lisées à partir des réseaux plutôt que de nous com­plaire dans un idéa­lisme bon marché.

Tiens, je me demande bien qui, avant Matteo Pasquinelli, aurait bien pu « com­mencer à dis­cuter la pro­duction, l’extraction et l’accumulation de valeurs écono­miques réelles » dans une société en per­pé­tuelle mutation ?

La bour­geoisie ne peut exister sans révo­lu­tionner constamment les ins­tru­ments de pro­duction, ce qui veut dire les rap­ports de pro­duction, c’est-à-dire l’ensemble des rap­ports sociaux. […] Ce bou­le­ver­sement continuel de la pro­duction, ce constant ébran­lement de tout le système social, cette agi­tation et cette insé­curité per­pé­tuelles dis­tinguent l’époque bour­geoise de toutes les pré­cé­dentes. Tous les rap­ports sociaux, figés et cou­verts de rouille, avec leur cortège de concep­tions et d’idées antiques et véné­rables, se dis­solvent ; ceux qui les rem­placent vieillissent avant d’avoir pu s’ossifier. Tout ce qui avait solidité et per­ma­nence s’en va en fumée, tout ce qui était sacré est profané, et les hommes sont forcés enfin d’envisager leurs condi­tions d’existence et leurs rap­ports réci­proques avec des yeux désabusés.

Article initialement publié sur Le Scarabée

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