OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Caméras myopes contre le terrorisme http://owni.fr/2012/03/23/les-cameras-myopes-contre-le-terrorisme/ http://owni.fr/2012/03/23/les-cameras-myopes-contre-le-terrorisme/#comments Fri, 23 Mar 2012 17:25:24 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=103122

Face à une discrète caméra, il faut sonner et montrer patte blanche pour atteindre le premier étage. A l’intérieur des locaux de la police municipale, le centre de supervision urbaine (CSU) est particulièrement protégé. Les escaliers gravis, s’ouvre une pièce spacieuse.

Au mur, 26 moniteurs, dont deux grands écrans. Ils projettent les images des 47 caméras de vidéosurveillance installées à Montauban sur la voie publique. Avec un ratio de 1 234 habitants par caméra, la ville a un taux d’équipement élevé, au point qu’elle aurait pu figurer à la 7e position de notre palmarès des villes les plus vidéosurveillées.

Le 15 mars, quatre d’entre elles ont filmé les premiers instants de la fuite du pilote de scooter qui venait de tirer à bout portant sur trois militaires ; deux sont morts sur le coup, le troisième est très grièvement blessé.

Suivi en différé

Le directeur de la police municipale de la ville, Yves Lafourcade, raconte :

Dès qu’ils sont arrivés sur place, les pompiers et la police nationale nous ont appelés pour qu’on regarde sur nos écrans. Aucune caméra n’avait directement accès à la scène mais l’opérateur a utilisé une caméra proche.

L’opérateur chargé de la vidéosurveillance cet après-midi là, jeudi 15 mars, rembobine les bandes “de trois minutes” selon Yves Lafourcade. Il est seul – son binôme est en arrêt maladie – et ne tient pas à nous parler, affirme son chef. Avec ce différé de quelques minutes, il retrace la première minute du trajet du fuyard à partir des signalements donnés par des témoins du crime.

L’opérateur suit sur quelques centaines de mètres le scooter noir qui passe le long des berges du Tarn. Puis le perd. Les enquêteurs ont une indication sur la direction générale. Une caméra située dans la zone industrielle Sud confirme qu’il n’a pas emprunté la route de Toulouse, ni la rocade, elle aussi équipée de caméras.

Par déduction, les policiers supposent que le conducteur du scooter a pris une autre route pour sortir de la ville, qui file vers le Sud elle aussi. La confirmation est donné par un automobiliste. Dans l’après-midi, jeudi, il contacte les autorités pour signaler la présence d’un motard roulant à grande vitesse, qui l’a doublé à “au moins 130 km/h”.

“La vidéosurveillance permet d’ajouter des éléments à l’enquête” avance le directeur de la police municipale, rejoint par Brigitte Barèges, député-maire (UMP) de Montauban :

Une enquête policière s’appuie sur une série de pistes. Certaines n’aboutissent pas, mais tout est utile.

Mardi matin, lors de la visite des grands magasins dans le centre de Toulouse, le ministre de l’Intérieur, Claude Guéant, avait confirmé que les images de vidéosurveillance n’avaient pas été très bavardes.

Dimanche soir, trois jours après le double assassinat de Montauban, “un expert informatique, accompagné d’officiers de la SRPJ [Service régional de la police judiciaire, NDLR], sont venus recueillir les bandes vidéos de la ville” précise Brigitte Barèges, député-maire UMP de Montauban :

Ils ont pris une semaine d’enregistrement.

Soit plus de 7800 heures, des milliers d’heures qui nécessitent au moins une semaine pour être exploitées. Légalement, les bandes de vidéosurveillance peuvent être conservées jusqu’à un mois. A Montauban, cette durée est restreinte, regrette Yves Lafourcade :

Les capacités de stockage limitées contraignent le CSU à ne les garder qu’une semaine.

Matière surabondante

Sept fois 24 heures de 47 caméras enregistrées donnent une matière surabondante aux forces de police. Les enquêteurs y cherchent une éventuelle reconnaissance des lieux, puisque l’assassin semblait connaître les lieux et les rues de la ville.

Enquête en bas débit

Enquête en bas débit

L'identification du terroriste au scooter a été très rapide, selon certains. La chronologie que nous avons reconstituée ...

Les 47 caméras sont installées à des intersections, détaille le directeur de la police municipale. “Des caméras dômes” qui peuvent être pilotées par les opérateurs. Dans le CSU, leur plan de travail est divisé entre les moniteurs au mur et un écran d’ordinateur sur leur bureau.

Avec, au choix, un joystick, un clavier ou une souris, ils peuvent prendre le contrôle des caméras pour les faire tourner sur elles-mêmes ou zoomer sur un point. “Un zoom x26″ précise l’un des opérateurs présents. Sur l’écran d’ordinateur s’affiche le plan des rues autour de la caméra et en couleur le spectre balayé par la caméra.

Lorsqu’un opérateur agrandit la façade d’un immeuble privatif, un cache apparaît sur les fenêtres. Une mesure obligatoire. Étonnamment, les images restent en clair lorsque la caméra dézoome. En 2006, la ville comptait 24 caméras, installées sous l’impulsion de Brigitte Barèges, élue en 2001. Jeudi, elle défendait vigoureusement ces choix locaux, et d’autres à l’échelle nationale :

Je suis moi-même avocat, opposée à la peine de mort et attachée aux libertés publiques. Ceci dit, les libertés publiques supposent aussi que la société se protège. C’est la raison pour laquelle nous avons voté la LOPPSI 2 afin de renforcer notamment la lutte contre le terrorisme.

Dans la LOPPSI, nous avions voté tout un chapitre pour pouvoir utiliser les fichiers et avoir des contrôles sur les adresses IP. Toutes ces mesures permettent d’aller un peu loin dans la vie privée des gens, mais les nécessités l’imposent, on le voit bien aujourd’hui.

Le maire PS de Toulouse, Pierre Cohen, a répété jeudi sa méfiance envers la vidéosurveillance, alors que l’installation de 642 caméras “sécuritaires” dans le métro et le tram était reportée :

La vidéoprotection est présentée par certains comme la solution miracle pour cacher les difficultés à juguler la délinquance, mais elle pose des problèmes en matière de libertés.


Illustration et couverture par Marion Boucharlat pour Owni /-) Photos additionnelles par Pierre Alonso

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Enquête en bas débit http://owni.fr/2012/03/21/tueur-toulouse-dcri-mohamed-merah/ http://owni.fr/2012/03/21/tueur-toulouse-dcri-mohamed-merah/#comments Wed, 21 Mar 2012 19:22:54 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=102968

Interrogé sur RTL sur le point de savoir si on aurait pu identifier le terroriste au scooter plus tôt, et donc empêcher la tuerie dans l’école juive de ce lundi – quatre victimes, dont trois enfants -, Gérard Longuet, ministre de la défense, a répondu “je ne pense pas, sauf à transformer la France en Etat policier“. Et d’ajouter :

“C’est la question de l’Etat de droit. Nous pouvons en effet considérer chaque Français comme suspect. Ce n’est pas notre culture. Un Français n’est pas, à première vue , “coupable”.

À une personne qui demandait si les croisements de données qui ont permis l’identification de Mohamed Merah n’auraient pas pu être effectués plus avant, rapporte Le Point, un haut fonctionnaire a déclaré : “Oui, mais nous serions dans un État totalement surveillé“.

Interrogé par LesInrocks.com, Didier Hassoux, co-auteur de “L’espion du président“, sur les dérives de la DCRI, s’interroge de son côté : “pourquoi a-t-il fallu attendre neuf jours ? Je ne vois pas pourquoi on ne lui a pas collé une balise au cul durant les deux ou trois jours ayant suivi le premier meurtre“.

La réponse est simple : il a fallu attendre deux jours pour localiser physiquement Mohamed Merah, mais aussi et surtout six jours pour identifier quels ordinateurs, et donc potentiellement quels internautes, avaient consulté la petite annonce postée par la première victime du terroriste. Reste à savoir pourquoi. Retour sur une enquête qui aura duré dix jours.

La petite annonce, priorité des enquêteurs

Lundi 12 mars. Un motard abattu d’une balle dans la tempe à Toulouse. C’est ainsi que La Dépêche évoque, à 3h49, un faits divers ayant eu lieu la veille, sans préciser que la victime est un militaire. Le 13, le journal se demande s’il s’agit d’un vol ou d’une affaire de coeur, mais précise cette fois qu’il s’agissait d’un officier parachutiste considéré comme “un excellent élément“.

Plus important : La Dépêche évoque le fait que la victime avait posté une petite annonce sur LeBonCoin.fr fin février afin de vendre sa moto, et qu’il aurait reçu, quelques minutes avant d’être abattu, “un coup de fil” à ce sujet :

Ce rendez-vous était-il un piège ? Le ou les faux acheteurs ont-ils paniqué ? Le bike-jacking a-t-il mal tourné ? L’hypothèse fait partie des « priorités » des enquêteurs.

L’article, publié le 13 à 7h46, laisse entendre que la police avait fait de cette petite annonce l’une de ses “priorités” dès le lundi 12, au lendemain du meurtre.

La DCRI l’identifie jeudi

Jeudi 15 mars. Suite au meurtre des deux autres militaires, la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) dresse, dans la journée, rapporte Libé, la liste d’une dizaine d’individus suspectés de sympathie avec les groupes islamistes en Afghanistan et au Pakistan, dont Mohamed Merah.

Une information confirmée par Le Monde, qui précise que Mohamed Merah avait effectué “plusieurs séjours en Afghanistan et au Pakistan, dans des camps d’entraînement d’Al-Qaida“, et qu’il faisait partie des “profils que nous surveillons, a indiqué au Monde une source du renseignement intérieur. Nous l’avions dans le collimateur“.

Claude Guéant aurait ainsi précisé, rapporte Le Parisien, qu’il “était suivi depuis plusieurs années par la DCRI et ses agents toulousains, mais jamais aucun élément de nature à (faire) penser qu’il préparait une action criminelle n’était apparu“.

Ce même jeudi soir, les services de Police judiciaire font le lien entre l’arme utilisée à Toulouse et celle qui avait frappé à Montauban : “à cet instant, s’est déclenché un énorme effort de mobilisation“, a expliqué Gérard Longuet, avec près de 200 enquêteurs lancés sur la piste du tueur au scooter.

Six jours pour identifier des adresses IP

Contacté par OWNI, LeBonCoin.fr a déclaré ne pas être “autorisé” à nous dire quand les services de police judiciaire lui avaient demandé la liste des ordinateurs ayant consulté la petite annonce en question, ni quand le site les leur avait transmis.

D’ordinaire, nous confirme une source policière, ce genre d’opérations ne prend que quelques minutes. Un autre source, proche de ceux qui répondent à ce type de réquisitions judiciaires, indique de son côté qu’elles sont traitées “en 48h maximum“.

Or, selon nos informations, ce n’est que le vendredi 16 mars, soit cinq jours après le premier meurtre, et trois jours après que la piste, considérée comme l’une des “priorités” des enquêteurs, ait été évoquée dans la presse, que la liste des 576 adresses IP a été transmise aux fournisseurs d’accès à l’internet (FAI). Ces adresses IP identifient les ordinateurs sur les réseaux, permettant donc de remonter jusqu’aux utilisateurs.

Ensuite, les FAI semblent eux avoir œuvré prestement : François Molins, procureur de la République de Paris, a expliqué que les résultats des vérifications, et donc la liste des abonnés à qui avaient été attribuées ces adresses IP, ont été connues le samedi 17 mars.

Une multitude de pistes

Cette liste, qui va s’avérer décisive, n’était que l’une des pistes suivies par les enquêteurs, qui ont également vérifié, toujours selon François Molins, 7 millions de données téléphoniques, et procédé à plus de 200 auditions, entraînant la rédaction de plus de 1000 PV.

La Dépêche précise que parallèlement, près de 20 000 dossiers militaires sont examinés par la Direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD) “puis, pour certains, croisés avec les connexions internet. Chou blanc.“.

Dans la liste des internautes ayant consulté la petite annonce, un nom attire l’attention des enquêteurs, écrit Rue89 : Mme Aziri, mère de deux garçons connus des services de police :

Abdelkader Merah, impliqué dans une filière de transferts de djihadistes en Irak.
Mohamed Merah, condamné à 15 reprises par le tribunal pour enfants de Toulouse et apparu selon un « profil d’autoradicalisation salafiste atypique ».

Lundi après-midi, les enquêteurs identifient, selon la journaliste Audrey Goutard (à 1h35 de la vidéo) le n° de téléphone portable de Mohamed dans la liste de ceux présents autour de l’école juive où a eu lieu la tuerie.

Le lundi soir, huit lignes téléphoniques de Mme Aziri et de sa famille sont mises sur écoute, a expliqué François Molins : “Problème, on n’avait pas d’élément permettant de les rattacher aux trois affaires.

Mardi, les enquêteurs recueillent le “témoignage décisif” d’un concessionnaire Yamaha, qui révèle avoir reçu la visite d’un des frères Merah lui demandant comment désactiver le traqueur GPS du modèle de scooter utilisé par le tueur.

Mohamed est localisé mardi en début d’après-midi, son frère Abdelkader en fin d’après-midi. La décision de les arrêter dans la nuit est prise à 23h30, ce mardi.

La vidéo de Gérard Longuet, interrogé sur RTL :


Gérard Longuet, ministre de la Défense : "20… par rtl-fr


Merci à Pierre Alonso, envoyé spécial d’OWNI à Toulouse.
Illustrations par Marion Boucharlat pour OWNI /-)

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Pour plus d’explications sur ces questions de confidentialité et donc de sécurité informatique, voir notamment « Gorge profonde: le mode d’emploi » et « Petit manuel de contre-espionnage informatique ».

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