OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Le tueur en série, la DGSE et les Talibans http://owni.fr/2012/09/05/le-tueur-en-serie-la-dgse-et-les-talibans/ http://owni.fr/2012/09/05/le-tueur-en-serie-la-dgse-et-les-talibans/#comments Wed, 05 Sep 2012 17:19:13 +0000 Guillaume Dasquié http://owni.fr/?p=119337

Charles Sobhraj, alias “Le Serpent” : vedette des séries estivales consacrées aux grands criminels. Officiellement, c’est un tueur en série de nationalité française et d’origine vietnamienne ayant sévi en Inde dans les années 80.

Et enfermé depuis 2003 dans une prison du Népal, pays où de fins limiers l’ont interpellé pour un énième assassinat dont les détails nous échappent à la lecture de son parcours, tel que le décrit L’Express, au mois d’août, ou comme le raconte France Info dans son feuilleton Histoires criminelles. Les jugements et les preuves en relation avec son incarcération à Katmandou manquent dans les différentes sagas. Mais qu’importe sa culpabilité véritable.

Bollywood

L’homme est déjà entré dans cet étrange Panthéon réservé aux pires salopards qui incarnent le mieux les côtés sombres de notre petit monde. Au printemps dernier, des producteurs de Bollywood en Inde ont annoncé le lancement d’une superproduction retraçant les méfaits et surtout les évasions de Charles Sobhraj à travers le sous-continent, en particulier celle de la prison de Tihar, en 1986 – demeurée célèbre dans les annales de la police locale. La vedette du cinéma indien Saif Ali Khan tiendra le rôle du criminel présumé.

La trajectoire de Charles Gurmurkh Sobhraj, né le 6 avril 1944 à Saigon – alors colonie française – emprunte des chemins pourtant bien plus étranges, plus complexes aussi, que ceux montrés par ces scénaristes ou dans les multiples récits livrés par la chronique criminelle. Ainsi, comme nous pouvons le détailler, divers documents des services secrets français, méconnus jusqu’à présent, lui sont consacrés. Non pas en raison de ses escroqueries ou de ses meurtres présumés.

L’intérêt qu’il suscite se situe à un niveau plus stratégique. Il s’explique par le rôle que lui prêtent les agents de la DGSE dans des transactions illicites de matériels d’armement financées au début des années 2000 par deux importants narcotrafiquants afghans. Là, dans ces pages couvertes par le secret défense, le portrait du tueur en série un peu maniaque disparaît au profit de celui d’intermédiaire en relation avec des personnalités des services secrets pakistanais de l’Inter Services Intelligence (ISI).

Un homme qui se balade à travers l’Asie centrale en se prévalant lors de certaines rencontres, semble-t-il, d’une relation de confiance avec des dignitaires Talibans. Et qui fréquente quelques professionnels du cinéma français lui permettant d’utiliser des cartes de visites et des noms de société inspirant confiance. Une toute autre histoire. Une note de la DGSE que nous publions plus bas affirme ainsi :

Au cours du printemps 2001, Charles Sobhraj a repris contact avec le courtier non autorisé en armement Philippe Seghetti afin de se procurer des mini-réacteurs de type R-36 TRDD-50 de conception russe. Cette demande lui aurait été adressée par deux intermédiaires pakistanais de l’Inter Service Intelligence (ISI). Par ailleurs, Charles Sobhraj, souhaitant se procurer de la drogue en paiement des équipements livrés, le financement de cette transaction pourrait être assuré par des ressortissants afghans agissant dans le domaine des narcotiques, MM. Hâdji Abdul Bari et Hâdji Bachar.
Charles Sobhraj, qui a probablement été évincé de cette transaction, continue de soutenir les Talibans. En effet, ces derniers l’ont invité à se rendre dans la région de Peshawar (Pakistan) pour effectuer des transactions. Le laissez-passer devra être rédigé au nom de la société française Victor Productions, derrière laquelle M. Sobhraj abrite ses intérêts commerciaux.

Sobhraj DGSE

Nous avons retrouvé la trace de Victor Productions, à Londres, au 18 Wigmore Street. La société ne paraît plus active mais elle a été enregistrée par un producteur français, François Enginger. Celui-ci apparaît notamment au générique de la saison 2 d’Engrenages, la série vedette de Canal Plus, cuvée 2008. Nous avons contacté la société Son & Lumière, une quasi institution dans les milieux du cinéma français, qui a produit les différentes saisons d’Engrenages. Nos interlocuteurs nous ont répondu qu’ils ne connaissaient pas François Enginger et qu’ils ne voulaient pas nous parler.

Pas plus de chance avec Philippe Seghetti, nous n’avons obtenu aucune réponse aux sollicitations envoyées pour entrer en contact avec lui. Et aucun élément matériel ne nous permet de corroborer les soupçons que nourrissent les services secrets à son encontre. Selon nos informations, cet homme d’affaires est intervenu à plusieurs reprises sur les marchés de la sécurité en Afrique, notamment en République démocratique du Congo.

Armement

La Lettre du Continent, spécialisée sur les réseaux de la Françafrique, mentionne l’existence d’un partenariat entre Philippe Seghetti et une structure appartenant aujourd’hui à la Sofema, une entreprise spécialisée dans l’accompagnement des contrats d’armement pour le compte des industriels français de la défense.

Les mini-réacteurs de type TRDD-50 qui intéressent la DGSE dans sa note sont produits à une échelle importante en Russie, en particulier dans les ateliers de la société OJSC, basée à Omsk et spécialisée dans la fabrication de moteurs et de systèmes de propulsion pour l’aéronautique. Entre les mains de professionnels de l’armement, ces minis-réacteurs peuvent servir au développement de missiles de croisière – à l’image du missile chinois HN-2 – ou servir à construire des drones artisanaux.

La note de la DGSE, rédigée début 2002, quelques mois avant l’arrestation de Charles Sobhraj au Népal, précise que ses commanditaires pakistanais ont pris contact avec la société géorgienne Indo-Georgia International, également en mesure de produire les fameux mini-réacteurs TRDD-50.

À la même époque, cette entreprise apparaît impliquée dans d’importantes livraisons d’armes de guerre aux indépendantistes en Tchéchénie ; que soutenaient l’Arabie Saoudite, le Pakistan et les réseaux Talibans. Une constante, de nos jours encore, les séparatistes ouzbeks et tchétchènes s’entraînent et combattent en Afghanistan.

Dans ce contexte, le 13 septembre 2003, tandis qu’il était domicilié en France en toute légalité (malgré un passé judiciaire chargé), Charles Sobhraj effectue un voyage au Népal pour affaires. Avec un visa en bonne et due forme délivré par le consulat du Népal à Paris. Il n’en repartira jamais. Ce jour-là, il est interpellé par la police de Katmandou dans le cadre d’un contrôle d’identité. Et après une vingtaine de jours de détention, de manière plutôt surprenante, il est inculpé pour un assassinat crapuleux commis au mois de décembre 1975.

L’accusation repose principalement sur les photocopies de deux cartes d’enregistrement dans un hôtel réservé aux étrangers, remontant à décembre 1975 et qui désigneraient Sobhraj. Près d’un an après cette inculpation, et malgré des expertises mettant en cause la fiabilité de ces photocopies, et sans aucune autre preuve matérielle, la Court de Katmandou condamne Charles Sobhraj à la prison à vie, le 12 août 2004.

Preuves originales

À Paris, Maître Isabelle Coutant-Peyre, avocate hors normes, familière des dossiers difficiles, assurant la défense du terroriste Carlos, prend en charge l’affaire Charles Sobhraj, en relation avec les avocats népalais. À titre bénévole, pour des questions de principe, nous explique t-elle. Après avoir consulté le dossier de l’accusation, elle introduit un recours devant la Commission des Droits de l’Homme des Nations unies. Qui se transforme en plainte contre l’État du Népal.

Et elle gagne. Dans un avis du 27 juillet 2010, que nous reproduisons ci-dessous, la Commission des Droits de l’Homme des Nations unies condamne sans réserve l’État du Népal pour avoir violé des dispositions du droit interne népalais, et surtout pour avoir mené une procédure sans respecter les principes judiciaires les plus élémentaires, en particulier la nécessité de mener une instruction contradictoire, à charge et à décharge, d’accorder la possibilité à l’accusé d’écouter les griefs qui lui sont adressés dans une langue qu’il comprend, et de fonder les actes d’accusations sur des preuves originales et non sur quelques copies dont l’authenticité est sérieusement contestée.

Charles Sobhraj United Nations

Onze ans après son arrestation, Charles Sobhraj dort toujours dans une prison népalaise. Son casier judiciaire chargé, sous d’autres juridictions, revient parfois comme un ultime argument pour tenter de cautionner une condamnation vide de raison juridique. Mais peut-être pas de raison d’État. Le 25 octobre 2010, le chef de cabinet de l’Élysée, Guillaume Lambert a rédigé une lettre – que nous avons pu consulter – dans laquelle il exprime toute l’empathie de l’État français pour le cas Sobhraj. Sans vraiment convaincre.


Serpents par Caravsanglet et ggalice sous licences Creative Commons via Flickr

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Cannabis: légaliser pour mettre fin au deal http://owni.fr/2011/04/09/cannabis-legaliser-pour-mettre-fin-au-deal/ http://owni.fr/2011/04/09/cannabis-legaliser-pour-mettre-fin-au-deal/#comments Sat, 09 Apr 2011 08:00:59 +0000 F.Tixier, F.Navarro, D.Nerbollier, M.L.Darcy (myeurop) http://owni.fr/?p=55861 Stéphane Gatignon connaît bien son sujet. Depuis dix ans, il est maire de Sevran, commune de Seine Saint-Denis où les trafics de drogue sont le quotidien des habitants, et il voit que les méthodes actuelles n’ont pas d’effet. Son objectif ?

Libérer des territoires entiers de l’emprise des trafics et de la violence [à cause du] manque de perspectives qui pousse vers le trafic de shit.

Coécrit avec un autre spécialiste, Serge Supersac, ancien policier dans ce département où les trafics de drogue sont légion, Pour en finir avec les dealers dénonce “un système hypocrite”. Et pour en sortir, les deux auteurs proposent que les poursuites judiciaires contre les consommateurs soient supprimées et que l’Etat organise lui-même la production et la distribution de cannabis.

“Répression = solution”

Dans un communiqué paru immédiatement après la publication du livre, ALLIANCE police nationale, principal syndicat de police en France, parle d’une “vraie mauvaise idée”:

Il faut des sanctions judiciaires fermes et réellement exécutées par ces délinquants qui pourrissent et terrorisent la vie de milliers d’honnêtes gens.

Mettant en avant un “véritable danger de santé publique” et dénonçant un trafic bien plus porté par “l’argent facile” que le manque de perspectives, le syndicat s’oppose en tous points à l’édile écologiste : la cause de ces problèmes de drogue vient selon eux d’un manque de moyens de répression.

Opposition droite-gauche

A l’occasion des débuts de la campagne présidentielle, l’opposition, classique, entre les “pro” et les “anti” de la dépénalisation est une fois de plus relancée. A droite, on s’oppose catégoriquement à toute autorisation. A gauche, les avis sont plus contrastés, même si la dépénalisation semble l’emporter. Le débat risque d’être houleux, d’autant plus que Daniel Vaillant, député-maire PS du XVIIIe arrondissement de Paris, favorable à la légalisation, doit publier mi-mai un rapport sur la légalisation du cannabis.

La France a de fait l’une des législations les plus strictes. Dans l’Hexagone, le seul fait de défendre la légalisation place la personne ou l’organisation hors-la-loi, car il est interdit de “présenter sous un jour favorable” les stupéfiants de tout genre. On ne fait pas de distinction entre l’herbe, la cocaïne ou le LSD, de sorte que la sanction pour sa vente peut atteindre les dix ans de prison, tandis que sa consommation peut entraîner une peine d’un an. Et si vous en cultivez, vous risquez 20 ans d’emprisonnement ferme. La situation est quasi-similaire en Pologne, en Suède, en Grèce ou en Turquie, où la consommation est interdite et la légalisation pas à l’ordre du jour.

En Europe, les législations différent fortement d’un pays à l’autre, depuis la dépénalisation jusqu’à la criminalisation, en passant par l’usage toléré. Avis aux amateurs: mieux vaut savoir quels sont les territoires les plus répressifs.

L’Europe a la tête qui tourne

Pionniers depuis 1971, les Pays-Bas n’ont pas légalisé, mais réglementé l’usage du cannabis. Chaque individu peut détenir jusqu’à cinq grammes et les coffee shops, seuls lieux autorisés à en vendre, peuvent en stocker 500. Confronté au “tourisme” de stupéfiants, qui attire chaque année deux millions d’adeptes aux drogues douces dans les rues de ses villes, les Néerlandais prévoient désormais d’interdire l’achat aux étrangers qui n’habiteraient pas le pays. Manière aussi de donner satisfaction à ses voisins européens, France, Allemagne et Belgique en tête, où la législation est moins permissive.

En République tchèque et en Espagne, fumer du cannabis n’est, de fait, plus un délit. A condition de consommer chez soi et de ne détenir que de petites quantités. En Espagne, malgré une interdiction de “fabrication et de trafic”, la consommation et la possession en lieu privé est tolérée par les juges, jusqu’à une limite de 50 grammes. Depuis 2006, il est également possible de vendre des graines de Cannabis ainsi que de cultiver la plante en espace privé. L’important reste de ne pas troubler l’ordre public.

Le Portugal reconnait aussi, depuis 2001, le droit à la consommation personnelle d’herbe. On peut posséder 25 grammes de cannabis correspondant, selon le législateur, à dix jours de consommation individuelle. Le consommateur est considéré non plus comme un criminel, mais comme un malade que l’on invite à se présenter devant une “commission de dissuasion” pour se faire soigner. Psychologue, avocat et assistante sociale décident alors si le cas relève d’un traitement ou d’une amende qui va de 25 à 150 euros. C’est donc la prévention qui a été privilégiée au Portugal, état souvent cité en exemple, dans la mesure où la dépénalisation n’a pas entraîné un bond de la consommation : sur une population de dix millions d’habitants, seuls 7 500 personnes sont passées devant les commissions de dissuasion en 2009.

D’autres pays ont dépénalisé la consommation tout en conservant l’infraction pour possession, culture et vente. C’est le cas pour l’Allemagne, le Danemark, la Belgique, l’Autriche, l’Italie, l’Islande et le Luxembourg.

Un “médicament” en vogue

Depuis la fin des années 1990 la consommation de cannabis s’est avérée efficace dans les traitements contre la douleur et chez les patients bénéficiant de soins palliatifs. Sur le continent, les pays qui autorisent la consommation à des buts médicaux sont l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Espagne, la Belgique, la Finlande et le Royaume Uni, tout comme quatorze États nord-américains, dont la Californie. Depuis 1999, la France prévoit, dans des cas exceptionnels, des Autorisations Temporaires d’Utilisation (ATU) d’un cannabinoïde : le dronabinol.

La Turquie produit, dans des usines contrôlées par l’État, de petites quantités de cannabis à des fins thérapeutiques. Seules l’Espagne et la Belgique permettent la constitution de clubs ou associations coopératives (sans but lucratif) pouvant cultiver la plante. Pourtant, il est habituel dans toute l’Europe de repérer dans ses rues des terrasses plantées de chanvre pour une consommation privée : une étude publiée en 2008 par l’Observatoire Européen des Drogues et des Toxicomanies affirme que 50% de la consommation de weed au Royaume Uni provient de plantations privées clandestines.

Article initialement paru sur myeurop.info

Illustrations CC flickR par Lenny Montana

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Les faucons antidrogue appellent Big Brother en renfort http://owni.fr/2010/08/30/les-faucons-antidrogue-appellent-big-brother-en-renfort/ http://owni.fr/2010/08/30/les-faucons-antidrogue-appellent-big-brother-en-renfort/#comments Mon, 30 Aug 2010 17:19:50 +0000 Jerome Thorel http://owni.fr/?p=26534 La surveillance sauvage des citoyens américains vient de passer un nouveau cap après un jugement de cour d’appel qui prend effet dans neuf États de l’union, dont la Californie. Évoquée par Time récemment, l’affaire se penchait sur un coup tordu de la DEA, la police fédérale antidrogue. Tout est parti d’une enquête des stups en 2007 — le but était de confondre Juan Pineda-Moreno, un cultivateur de marijuana de l’Oregon — qui s’est permis de pénétrer chez le suspect, sans aucun mandat, pour coller un module GPS sur sa Jeep. La cour d’appel a donc validé la violation de domicile pour justifier la surveillance électronique.


Une affaire exemplaire car elle réunit deux piliers de la doctrine sécuritaire étasunienne: « la guerre contre la terreur» — qui a produit les loirs iniques type Patriot Act qui ont élargi les pouvoirs d’enquêtes sans contrôle du juge — et «la guerre contre la drogue», qui a déjà produit son lot d’atteintes aux droits civiques depuis des décennies.

En France coller un mouchard GPS sur une voiture est un acte de procédure pénale plutôt banal, même si aucun texte ne l’évoque clairement. Nous avions exploré ce cas d’école lors de l’enquête sur le pseudo-groupe de Tarnac, les fameux réseaux « anartoto » chers au ministre de l’Intérieur de l’époque, Alliot-Marie. Malgré les énormes moyens déployés, une enquête à charge dont les travers ont été maintes fois mises en lumière, les prévenus sont toujours dans l’arène et ses partisans ne l’ont pas oublié en se réunissant au cœur de l’été.

Dans l’affaire Pineda-Moreno, la question repose sur la légalité de la mise sous surveillance, pas de la nature de cette surveillance. Dans le Massachusetts, en 2009, la DEA a usé des mêmes méthodes mais avait auparavant pris soin d’avoir l’accord de l’autorité judiciaire.

Une allée de garage est-elle le domicile privé ?

Dans le cas du cultivateur de l’Oregon, le débat s’est orienté sur la nature du «domicile privé» — et détermine s’il faut ou pas de mandat de perquisition (search warrant en jargon judiciaire étasunien). Sa voiture était garée dans son allée — driveway —, mais pas dans un garage ou une enceinte fermée; les juges ont considéré qu’il n’y avait pas de violation de domicile. Et que le placement sous surveillance n’était donc entachée d’aucune nullité juridique. Le cultivateur avait plaidé coupable pour la possession d’herbe, mais contestait la légalité des moyens de la preuve électronique — en droit français aussi, et heureusement, un élément de preuve récolté de manière illégale doit être immédiatement invalidé.

Au passage, Time s’amuse à citer l’opinion minoritaire d’un des juges d’appel, Alex Kozinski, réputé plutôt conservateur car nommé sous l’ère du président Reagan. Selon ce brave homme, juger qu’une allée menant à une maison est dans l’espace public sous-entend que seuls les nantis, qui peuvent se payer des murs, des vigiles et des enceintes électroniques, bénéficient d’un droit plus large à leur vie privée. Et de proner une plus grande diversité sociale au sein même du système judiciaire… Ses collègues, accuse-t-il, sont coupables d’«élitisme culturel», rien que ça.

Suivi à la trace sans mandat

Toujours est-il que le jugement de la Cour d’appel du 9ème Circuit est autrement plus terrible pour le droit à la vie privée. Car les juges valident le fait qu’une fois le dispositif GPS installé, et donc les conditions de son installation validées, la DEA peut poursuivre sa surveillance après coup sans aucun mandat de perquisition. Commentaire du journaliste de Time:

Après tout, si les agents du gouvernement peuvent suivre les gens à la trace à tout moment avec des mouchards installés secrètement, sans l’aval d’une autorité judiciaire, nous ne sommes pas loin d’un banal état policier— avec, dans le rôle du KGB ou de la Stasi, la technologie.

L’hebdo souligne toutefois que d’autres cours d’appel n’ont pas eu la même certitude. Un cas presque similaire traité par celle de Washington DC, ce mois-ci, a jugé au contraire qu’une surveillance GPS prolongée sans aucun mandat n’était pas conforme. C’est donc la Cour suprême qui aura finalement le dernier mot, dans ces deux affaires.

En cherchant un peu, on trouve un précédent arrêt de la Cour suprême sur la pertinence d’une technologie intrusive dans le cadre d’une enquête de stupéfiants. La question était là aussi de savoir si l’usage de caméras thermiques pour repérer des plants de marijuana dans une habitation était oui ou non possible sans mandat de perquisition. La Cour s’est finalement rangée du côté du 4ème Amendement (qui protège le citoyen contre toute enquête arbitraire), en citant un cas d’école datant de 1925 :

“The Fourth Amendment is to be construed in the light of what was deemed an unreasonable search and seizure when it was adopted, and in a manner which will conserve public interests as well as the interests and rights of individual citizens.” Carroll v. United States267 U.S. 132, 149 (1925).

Where, as here, the Government uses a device that is not in general public use, to explore details of the home that would previously have been unknowable without physical intrusion, the surveillance is a “search” and is presumptively unreasonable without a warrant.

Reference: US Supreme Court, June 11, 2001. DANNY LEE KYLLO v. UNITED STATES

Traduction : « A partir du moment où l’outil employé n’est pas d’usage général, et qu’il permet d’explorer les détails d’une habitation qui n’auraient jamais pu l’être sans une intrusion physique, la surveillance est une perquisition qui ne saurait être justifiée en l’absence de mandat ». Notez bien que ce jugement « suprême » date de juin 2001, soit avant le Patriot Act et ses avatars anticonstitutionnels.

Le terrorisme, un bon prétexte

Car la guerre contre le terrorisme, depuis ses débuts, est devenue un allié pour les faucons de la DEA cherchant à élargir leurs moyens d’investigation. Rappelons que depuis une quinzaine d’années, 14 États de l’union ont légalisé la culture et la fourniture de cannabis à des fins médicales. C’est le cas de la Californie et de… l’Oregon. Ont donc été légalisés des dispensaires privés, des « clubs de patients », dans lesquels il est possible d’acheter sa dose le plus simplement du monde — pour peu que l’on dispose d’une prescription médicale. Ces tolérances successives ont été vécues à la DEA comme autant de provocations.

Exemple : après le référendum de 1996 en Californie qui a légalisé la marijuana médicale, le Cannabis Action Network, une association d’activistes de Berkeley, organisait une fois par an à San Francisco, le 20 avril, le Hemp Festival, un rendez-vous militant et récréatif qui avait donc l’accord des forces de police locale. Lors de l’édition d’avril 2002, soit la première de l’ère Patriot Act, le Hemp Festival est victime d’un coup tordu de la DEA. La veille, les agents font une descente dans le lieu où devait se dérouler le festival, y trouvent des substances illicites — et ordonnent immédiatement la fermeture de l’établissement. Le Hemp Festival eu finalement lieu dans un endroit inviolable: les locaux de leur cabinet d’avocats de San Francisco!

Les militants pro-cannabis ont appris à subir les effets collatéraux des lois antiterroristes. Dans cet article de 2006, ils citent le cas d’une enquête qui a utilisé une mesure tirée du Patriot Act (« sneack and peak », perquisition furtive où le suspect n’est pas informé de celle-ci) pour surveiller abusivement des personnes suspectées d’un trafic d’herbe entre les Etats-Unis et l’Etat canadien de Colombie britannique, réputé plus friendly dans la répression des drogues douces.

Dans un rapport de 2009 cité ici, écrit par une émanation des autorités judiciaires fédérales, le bilan de cette procédure « sneak and peak » est sans appel:

Sur 763 mandats délivrés en 2008, seulement 3 l’ont été pour des faits clairement antiterroristes. Les deux-tiers ont concerné des affaires de stupéfiants. Certains de ces mandats ont été prolongé, et sur 1.291 mandats délivrés au total, seulement 5 concernaient le terrorisme et 65% impliquaient des personnes suspectées de trafic de drogue, qui reste pourtant un délit de droit commun [même dans la puritaine Amérique]. Sur les 21 catégories de crimes concernées par la procédure, le terrorisme apparaît à la 19ème place, devançant la conspiration et la corruption.

Article initialement publié sur Numéro Lambda

Illustration FlickR CC : Katy Lindemann

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William Gibson:|| cyberculture, || une “poésie des bas-fonds” http://owni.fr/2010/05/21/william-gibson-la-cyberculture-une-poesie-des-bas-fonds/ http://owni.fr/2010/05/21/william-gibson-la-cyberculture-une-poesie-des-bas-fonds/#comments Fri, 21 May 2010 09:58:34 +0000 [Enikao] http://owni.fr/?p=16211 A l’occasion d’une séance de dédicace du trop rare William Gibson, j’ai eu l’occasion de l’écouter brosser un panorama de ses inspirations. Simple et abordable, il s’est montré loin de l’idée que l’on se fait d’un auteur qui a tant parlé d’informatique, de cyberespace, de clonage et de sociétés multinationales montant des coups tordus. Moins technophile que rêveur, imprégné par la Beat Generation et Burroughs, effrayé par l’ère Reagan, Gibson revendique avoir créé une “poésie des bas-fonds”.

Dans les uchronies, on imagine souvent ce qui se serait passé si le Japon et l’Allemagne avaient remporté la Seconde Guerre Mondiale. Mais personne n’a essayé de décrire un monde où nous vivrions dans une chanson du Velvet underground“.

Le cyberpunk est né avec le premier roman de William Gibson en 1984 : Neuromancien. Particulièrement salué (Prix Nébula, Prix Hugo et Prix Philip K. Dick), les grandes lignes du genre sont posées. Dans un avenir proche, l’État a abdiqué presque partout, le monde est aux mains de grandes multinationales. L’informatique s’est particulièrement développée, le cyberespace est un lieu où les hackers osent tout.

Clonage, nanotechnologies, implants cybernétiques et intelligences artificielles ont changé les paradigmes sur l’humanité. Les héros sont des parias désabusés des bas-fonds, missionnés pour de sales boulots d’espionnage : entre thriller et complot.

La musique rock et les drogues de synthèse (voire virtuelles) sont présentes en filigrane.

Entretien.

Bonjour, je suis William Gibson, et je vis dans un univers coloré

E : Comment est né Neuromancien, un roman qui a fait date dans l’histoire de la littérature en initiant le mouvement cyberpunk ?

WG : Je n’avais aucune référence de départ, c’est pourquoi il m’a fallu partir d’une armature. Pour cela je suis parti de deux sous-genres (rien de péjoratif) que sont le thriller et l’espionnage pour avoir une trame solide. L’histoire a eu rapidement sa propre dynamique qui m’a un peu échappé, j’ai bien vu des années plus tard qu’elle était difficile à transcrire en script de film. Mais finalement je n’aime pas m’en tenir aux règles d’un genre et je préfère jouer avec les codes pour les mélanger.

E : On vous prête l’invention du cyberespace et des prémisses des mondes virtuels d’aujourd’hui. Êtes-vous un nerd ? Un passionné de science ?

WG : J’ai une solide réputation de visionnaire et de technophile, mais elle est très exagérée. Certes, ça aide à vendre… (rire)

Ce que j’écris du monde des sciences, je le tiens en réalité de mon entourage qui travaille dans tel ou tel secteur. En revanche, je sais reconnaître la nouveauté quand elle me passe sous les yeux. Et puis j’ai une interprétation poétique des langages de la technologie qui me pousse à extrapoler. La première fois que j’ai entendu les mots interfacer en tant que verbe, ou virus informatique, j’ai trouvé ça fascinant. Pour ce dernier, j’ai imaginé qu’il s’agissait de masses de données se reproduisant sur d’autres données, infectant plusieurs endroits à la fois et générant des effets néfastes comme le fait un virus biologique. Bon, j’ai eu de la chance, il se trouve que c’est le cas… Une réputation tient à peu de choses ! (rire)

E : D’après vous, quel rapport entretient la science avec la science-fiction ? Laquelle influence le plus l’autre ? Qui devance qui ?

WG : Je crois en réalité qu’il y a moins de symbiose entre science et science-fiction qu’entre business technologique et science-fiction. La science-fiction invente des trucs que l’on peut montrer au banquier quand on cherche des financements. Les patrons de start-ups posent quelques livres sur la table en disant : “Lisez ça et ça. Ce n’est pas tout à fait ce qu’on peut faire, mais presque. On veut du cash pour le développer”. Et même, certains patrons de sociétés technologiques me disent qu’ils ont été inspirés par nos écrits. Pas tellement les chercheurs… Aujourd’hui, une grande partie de l’énergie créative a migré ailleurs. Il y a eu la science-fiction, puis la musique, aujourd’hui c’est peut-être dans le cinéma et l’animation qu’il faut regarder les progrès techniques significatifs.

E : La plupart de vos héros sont apatrides, est-ce lié à vos lectures sur l’itinérance comme Kerouac ?

WG : C’est plus profond que cela. J’ai grandi dans un tout petit village très sudiste, très religieux, très traditionnel et très blanc. Cet univers fermé aux influences extérieures était oppressant, voire fantasmatique : il était irréel. Aussi, à l’adolescence, je me suis tourné vers la musique, le cinéma, les comics et la science fiction qui avaient pour moi plus de consistance que mon quotidien. Mon refus d’aller faire la guerre au Vietnam en 1968 m’a par la suite poussé sur les routes et je suis parti pour le Canada. En général, je me suis toujours mieux senti avec les gens sans racines ou aux cultures mélangées, et je fuis comme la peste les nationalistes.

E : Quelles ont été vos principales influences littéraires ?

WG : Un auteur qui fait bien son métier digère et assimile, à tel point qu’il n’est plus capable de remonter la filiation. J’ai presque plus de facilité à dire qui ne m’a pas influencé. Bien sûr, Philip K. Dick m’a beaucoup marqué, en particulier Le Maître du Haut Château, mais je lui préfère Thomas Pynchon, que je qualifierai de “parano raffiné”. Mes vraies références sont poétiques, et si un auteur m’aborde pour parler d’abord poésie plutôt que science-fiction, il y a des chances qu’on s’entende bien. Mes romans sont plein de noirceur, de coups tordus, de bidonvilles et de personnages en marge : je crois avoir donné naissance à une forme de poésie des bas-fonds.

E : Le vaudou revient souvent dans vos romans, pourquoi ?

WG : A l’âge de 14 ans, j’ai acheté un manuel vaudou de la Nouvelle Orléans, il comportait des descriptions précises des rites et des schémas et des diagrammes pour les cérémonies. Comme je faisais un peu de bricolage électronique, j’ai trouvé que ça ressemblait à des plans d’assemblage, et je me suis toujours demandé ce qui se passerait si je réalisais mes circuits sur le modèle d’un diagramme vaudou… Et puis je trouve fascinant qu’au XXème siècle, une religion polythéiste soit aussi vivante et contemporaine, répandue dans plusieurs endroits du globe.

E : Vous avez tenu un blog jusqu’en 2005, avez-vous essayé de nouvelles formes d’écriture comme l’hypertextuel ?

WG : Je crois qu’aujourd’hui tout texte est hypertextuel. Tout ce que nous écrivons est une requête Google potentielle. Nous avons pris l’habitude de référencer et de lier, de chercher au hasard. Je ne sais jamais où je vais arriver quand je suis sur le web, et je suis fasciné par ces nouvelles formes d’échange écrit que sont les newsgroups, les blogs et les e-magazines. Pour moi, l’hypertexte est une réalité étendue, même pour les livres papier.

E : Après avoir décrit dans les années 80 un cyberespace, quelle est votre expérience personnelle des univers virtuels dans les années 2000 ? Quel est votre niveau de présence en ligne ?

WG : Je n’ai essayé que Second Life, que j’ai trouvé peu intéressant. L’expérience du blog était passionnante mais est arrivée à son terme. Je continue à participer et à interagir virtuellement sur des forums, de manière anonyme la plupart du temps. Je trouve les échanges souvent riches, et je suis toujours intrigué de trouver des gens qui se connaissent si bien sans s’être jamais rencontrés physiquement.

Humain, post-humain

E : Vos romans se passent souvent dans un avenir assez lointain, les derniers se situent dans un avenir plus proche. Est-ce parce que tout évolue plus vite et que vous n’arrivez pas à vous projeter aussi loin qu’avant ?

WG : Je suis content d’être perçu comme un visionnaire, mais il faut poser une bonne fois pour toutes : la science-fiction, même très futuriste en apparence, ne parle que de notre présent ou de notre passé. Neuromancien était un roman de présent-fiction, Code Source se situe… dans un passé proche. Il ne s’agit pas de prédire ni de décrire mais de regarder dans un autre prisme. C’est en quelque sorte un travail sociologique avec un regard décalé.

Toute représentation de la réalité nécessite une part de spéculation de la part de celui qui observe. Mes premiers romans sont dans un temps lointain car je ne voulais pas qu’ils soient trop vite datés, ni que l’on identifie clairement a posteriori à quel moment ils pouvaient avoir lieu. La fiction est comme l’histoire, elle change à mesure que notre regard rétrospectif évolue. Si je voulais ramener un seul élément du futur, ce serait le regard historique, stratifié et analysé de nos descendants sur ce qui est notre présent. Il faut avoir les outils de la science-fiction, créés au XXème siècle, pour comprendre le monde contemporain.

E : A propos de cybernétique, pensez-vous que les implants que vous décrivez dans vos romans seront une réalité un jour ? Comment seront-ils acceptés ? Serons-nous encore vraiment humains une fois cybernétisés ?

WG : C’est difficile à dire. Les premiers à réclamer l’usage concret de recherches cybernétiques seront sûrement les personnes handicapées. Il sera difficile de refuser à un aveugle un oeil cybernétique. Mais comme toujours, c’est le regard a posteriori qui déterminera quand nous avons changé.

Nos arrière-petits-enfants détermineront la frontière entre humain et plus qu’humain, entre marge et pratique courante.
> Article initialement publié en octobre 2008 chez Enikao

> Illustrations CC Flickr par HAZE – Comatose et Frederic Poirot

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