Google: de la toute puissance à l’hérésie

Le 18 août 2010

Selon Schmidt, PDG de Google, nous serons un jour amenés à changer d'identité pour effacer nos traces sur le Web.

Faudra-t-il, un jour, changer de nom afin de cacher ses « erreurs de jeunesse » révélées sur les moteurs de recherche et les pages des réseaux sociaux de ses amis ? Cette perspective, plutôt effrayante, ne fait pas peur à Eric Schmidt, le PDG de Google, qui prédit que ce sera possible et normal dans l’avenir. De quoi relancer le débat sur la protection de la vie privée sur Internet.

Dans une interview au Wall Street Journal, Eric Schmidt explique : la société évolue et s’adapte aux nouvelles technologies. Il ne s’agit donc plus, selon lui, de contrôler les éventuels dérapages du Web, mais de s’en accommoder, au point de permettre à une majorité d’individus de changer de nom pour ne pas avoir à affronter leur passé numérique.

Eric Schmidt, CEO de Google.

Une telle mesure est-elle réellement envisageable et souhaitable ? Danah Boyd, chercheuse et blogueuse américaine, spécialiste des réseaux sociaux, considère la proposition d’Eric Schmidt comme totalement absurde et impraticable.

Elle rappelle qu’aux Etats-Unis tout autant qu’en France, changer de nom nécessite une procédure laborieuse et complexe. Danah Boyd sait de quoi elle parle : elle-même a fait la démarche à deux reprises. Elle critique ainsi la logique du PDG de Google :

« Recommencer à zéro peut être bien plus compliqué que de débuter avec un passé trouble. […] Pour compliquer les choses, changer votre nom ne vous permet pas d’échapper à vos noms passés. Tout ce qu’il faut, c’est quelqu’un de déterminé à faire le lien entre les deux et toute tentative de s’éloigner de son passé s’évanouit en un instant. »

Elle poursuit :

« Je suis très surprise de l’étrange attitude de Schmidt, surtout si l’on considère ses précédents commentaires sur la fin de la vie privée.
Comment peut-il percevoir la vie privée comme morte, tout en imaginant un monde dans lequel la réputation peut être altérée à travers un changement de nom ? […] Je suis extrêmement troublée et j’aimerais comprendre son mode de fonctionnement mental. »

« Nous savons grosso modo qui vous êtes, qui sont vos amis »

Dans son interview, Eric Schmidt ne cherche assurément pas à être rassurant. Google, dit-il, doit se réinventer face à la révolution de l’Internet mobile. Sans craindre d’effrayer ceux qui trouvent que Google en sait déjà trop sur eux, il déclare :

« Nous sommes en train de déterminer quel est le futur des moteurs de recherche. […] Je pense vraiment que la plupart des gens ne veulent pas que Google réponde à leurs questions. Ils veulent que Google leur dise ce qu’ils devraient faire. […]
Nous savons grosso modo qui vous êtes, ce qui vous tient à cÅ“ur, qui sont vos amis. […] Le pouvoir du ciblage individuel – la technologie sera tellement parfaite qu’il sera très dur pour les gens de voir ou de consommer quelque chose qui n’a pas été, d’une certaine manière, taillé sur mesure pour eux. »

Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook, affirmait récemment que les internautes acceptaient cette dissolution de la vie privée engendrée par les comportements sur le Web :

« Les gens sont de plus en plus à l’aise non seulement avec le partage d’informations plus nombreuses et de natures différentes, mais aussi de manière plus ouverte et avec plus de gens. Cette norme sociale [la vie privée, ndlr] est juste quelque chose qui a évolué avec le temps. »

Le pouvoir de contrôle des géants du Web

Cette perception pragmatique -pour ne pas dire cynique- s’inscrit dans le débat actuel sur le pouvoir de contrôle et d’intrusion que les géants du Web, Google ou Facebook, acquièrent peu à peu sur nos vies -avec notre accord.

Les histoires ne manquent pas d’employés pénalisés par leur comportement révélé par leurs « traces » numériques, et il est dorénavant admis que des chasseurs de têtes ou recruteurs consultent les réseaux sociaux afin d’évaluer le degré de « vertu numérique » d’un candidat.

Un nouveau métier est né, les « nettoyeurs du Web », qui vous proposent de gérer votre réputation en vous rachetant une « virginité numérique ». Le « droit à l’oubli numérique », destiné à mieux garantir le droit à la vie privée sur la Toile, est également en marche.

Mais Eric Schmidt préfère prendre le problème à l’envers : plutôt que de chercher à effacer vos traces sur Internet, mieux vaut vous effacer vous-même en changeant d’identité. Il suffisait d’y penser, et Google, qui nous connaît si bien, y a pensé pour nous.

Illustration CC FlickR iko, DerrickT

Article initialement publié sur Eco89

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